Pour ce deuxième épisode de l’histoire de l’IHEDN, nous vous proposons de revenir sur l’inspection des établissements de l’Enseignement militaire supérieur de l’École militaire par le général de Gaulle, président de la République française.
Le 3 novembre 1959, Charles de Gaulle effectue une inspection à l’École militaire de l’ensemble des établissements constituant l’enseignement militaire supérieur, à l’exception notable du Collège de défense de l’OTAN. La date a été choisie en fonction de l’ouverture de la session nationale de l’IHEDN. La voiture du président de la République entre à 10h dans la cour d’honneur. Dix minutes plus tard, le Général se rend à pied dans l’amphithéâtre de Bourcet. Le directeur de l’IHEDN Jean Essig lui présente, devant l’ensemble du gouvernement et des auditeurs de la 12e session, l’organisation et les missions de l’Institut. Moins d’une demi-heure plus tard, de Gaulle quitte les lieux et inspecte au pas de charge les écoles supérieures de guerre des trois armées (amphithéâtre Desvallières), puis le Centre des hautes études militaires et le Cours supérieur interarmées (amphithéâtre Louis) – avec une célérité digne des habitués de ce dédale qu’est l’école militaire ! Il termine son inspection par une allocution au mess de l’École militaire, dans la rotonde Gabriel, prononcée devant l’ensemble des autorités civiles et militaires, les cadres, les auditeurs et stagiaires. Ce discours fixe le cap stratégique des années à venir :
« Ceci dit, je crois bon d’évoquer devant vous quelques idées qui contribueront à orienter vos efforts. Il faut que la défense de la France soit française. C’est une nécessité qui n’a pas toujours été très familière au cours de ces dernières années. Je le sais. Il est indispensable qu’elle le redevienne. Un pays comme la France, s’il lui arrive de faire la guerre, il faut que cela soit sa guerre. […] Il va de soi, évidemment, que notre défense, la mise sur pied de nos moyens, la conception de la conduite de la guerre, doivent être pour nous combinées avec ce qui est dans d’autres pays. […] Mais que chacun ait sa part à lui. Voilà un point capital que je recommande à vos réflexions. […] La conséquence, c’est qu’il faut, évidemment, que nous sachions nous pourvoir, au cours des prochaines années, […] d’une « force de frappe » susceptible de se déployer à tout moment et n’importe où. Il va de soi qu’à la base de cette force sera un armement atomique – que nous le fabriquions ou que nous l’achetions – mais qui doit nous appartenir : et puisqu’on peut détruire la France, éventuellement, à partir de n’importe quel point du monde, il faut que notre force soit faite pour agir où que ce soit sur la terre1. »
Alors qu’on s’attendait à une prise de parole sur le dossier algérien, la tonalité du discours surprend la presse. Le Général « a évoqué les problèmes de défense nationale sur un plan très élevé, presque à l’échelon philosophique et historique […] des Mérovingiens et de toutes les époques de la France éternelle2 ». Les journalistes présents n’ont pas perçu, sur le moment, l’officialisation du tournant de la politique de défense du Général, basée sur la dissuasion et le départ à terme du commandement intégré de l’OTAN. La journée du 3 novembre 1959 marque le début d’une longue série d’inspections du chef de l’État (1961, 1963, 1964, 1965, 1966, 1967 et 1969) auprès de l’Enseignement militaire supérieur. Il s’agit de vérifier l’application de la vision présidentielle. L’IHEDN se trouve au cœur des préoccupations de l’exécutif, d’autant plus qu’il est à la fois un lieu de débats et perçu comme un bastion euro-atlantiste. Ce nouveau cap axé sur la dissuasion et l’indépendance nationale va irriguer les travaux des auditeurs de l’Institut pour plusieurs décennies.
[1] Allocution du général de Gaulle à l’École militaire, 3 novembre1959, Archives nationales, 5 AG (1) 261.
[2] « À l’École militaire, le général évoque une association des défenses », Le Figaro, 4 novembre 1959.