Connaissiez-vous l’IHEDN ?
Je suivais ses activités, ses conférences notamment les Lundis de l’IHEDN. Les dossiers de défense m’intéressent beaucoup : ils reviennent dans le débat à chaque grande élection, quand paraît un Livre blanc ou une loi de programmation, mais ils sont malheureusement traités d’un peu loin dans la presse, en dehors de quelques spécialistes.
La mission de l’IHEDN est de diffuser « l’esprit de défense ». Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Je vous réponds en tant que journaliste : mon objectif n’est pas de rejoindre une caste d’initiés, qui aurait une meilleure connaissance de ces sujets, depuis l’intérieur, des réseaux plus aiguisés. Je tiens à l’indépendance. Mon objectif est de mieux comprendre les armées, le rôle qu’elles jouent pour le bien commun. L’esprit de défense, ce n’est pas que la défense de la Nation, c’est aussi la construction de sa cohésion.
Cet esprit est-il suffisamment présent dans la société française selon vous ?
Je ne l’avais pas très consciemment avant cette crise en Ukraine. J’ai pourtant des racines plongées dans la culture militaire : j’ai grandi à Dieuze, à Saint-Maixent ; mon grand-père, mon père, mon frère et mes oncles, tous étaient officiers ! Cette vocation, à 18 ans, m’a effleurée. Un jour, j’ai dit à mon père que j’envisageais d’entrer à Saint-Cyr. Il m’a ri au nez. C’était une autre génération. J’ai vite abandonné l’idée. Je n’étais pas non plus ce qu’on appelle une « fana mili ». Le journalisme m’a vite semblé un terrain plus adapté à mon tempérament. Je me suis donc éloignée de l’armée toutes ces années, sauf de temps à autre, pour des questions techniques liées aux sujets traités dans mes articles, et parce que c’est un sujet régalien. Mais oui, je pense aujourd’hui que la société française manque de cohésion, de communs. Les communautarismes, quels qu’ils soient, font du mal à notre pays. Il faut reconnaître des droits, une identité à chacun, mais construire une maison commune passe par le soutien à quelques « piliers ». Ce soutien demande un engagement confiant ; il est aussi exigeant. C’est ainsi que nous devons être face à nos armées qui nous défendent et qui sont en première ligne.
Comment faire en sorte que les femmes soient plus associées à cet objectif ?
Il doit y avoir sensiblement la même proportion de femmes dans la promotion de la session nationale que dans nos armées, elle est plus importante que par le passé évidemment, mais elle reste faible. Ces statistiques recoupent globalement celle des secteurs liés à la défense, notamment dans l’industrie. Il faut encore et toujours s’interroger sur le rapport des lycéennes et des étudiantes aux matières scientifiques, et plus tard à la place accordée aux femmes aux postes de direction. Cet espace progresse, mais il faut toujours pousser pour plus de parité. Dans ces conditions, la discrimination positive n’apparait pas scandaleuse. Ma candidature à l’IHEDN a-t-elle été retenue parce que cela permettait de remplir le quota de femmes dans la session ? Je n’en sais rien mais si c’est le cas, cela ne me vexe pas plus que cela, j’assume. C’est un outil. A nous de faire nos preuves par la suite !
Est-ce que notre noyau féminin actif et dynamique cette année encouragera d’autre femmes à suivre cette formation ? Je l’espère, car je crois au pouvoir de l’exemplarité. Il y a eu des pionnières dans nos armées. Il y en a encore, dans le monde fermé des sous-marins, par exemple. Prétendre que les femmes peuvent tout faire comme les hommes, c’est prendre le risque de se heurter idéologiquement à la réalité. Mais il faut élargir le champ des possibles.
Pourquoi avez-vous présenté votre candidature à l’IHEDN ?
En toute franchise, je n’avais jamais songé à devenir auditrice de l’IHEDN. Je ne pensais pas avoir le niveau, ne pas être assez pertinente pour enrichir un groupe. C’est typiquement féminin comme défaut, non ?
Alors quel fut le déclic ?
Une personne est venue sympathiquement me suggérer de présenter ma candidature. Surprise, j’ai consulté le programme et je l’ai trouvé passionnant. Avec des thématiques sur lesquelles j’ai travaillé ces dernières années. J’avais quand même la crainte que mon profil, très orienté vers la politique, la société, ne soit pas retenu, mais je trouvais le défi stimulant. Après des années à couvrir l’actualité politique et religieuse, je souhaitais me renforcer sur les questions de défense. L’actualité nous oblige. Comme beaucoup de consœurs et de confrères, je passe du temps – sauf cette année, déjà un peu chargée – sur des plateaux de télé ou en radio. Je souffrais de ne pas pouvoir traiter les sujets défense avec pertinence. Et puis, une année de formation, même quatre jours par mois en moyenne, c’est toujours l’occasion de faire un point sur sa carrière, de sortir la tête de la routine.
Comptez-vous changer de spécialité au Figaro ?
Non, nous avons déjà un excellent correspondant défense avec Nicolas Barotte ! « Ancien » auditeur de l’IHEDN, il m’a d’ailleurs fortement encouragé à présenter ma candidature pour rejoindre la lignée de ceux qui ont suivi la formation au journal, et ils sont nombreux ! Je pense à notre correspondante diplomatique, Isabelle Lasserre, à notre correspondant à Moscou Alain Barluet ou encore Guillaume Roquette, qui dirige la rédaction du Figaro Magazine. Mon objectif n’est pas de devenir correspondant défense, mais de renforcer le service politique dans ce domaine, de répondre avec plus de pertinence aux interpellations de la société dans la crise actuelle.
Le contexte stratégique a donc eu une influence sur votre choix…
Ce fut un élément déclencheur, comme pour toute une partie des auditeurs de cette session. Ce conflit aux portes de l’Europe nous touche, il a de fortes répercutions sur l’équilibre de la société française.
Conseilleriez-vous cette formation aux journalistes politiques ?
Absolument. Les questions de défense aujourd’hui, irriguent toutes les sphères de la société. C’est une réalité nationale, mais aussi européenne. En travaillant sur ces dossiers, j’ai pu constater mes lacunes techniques. Elles m’empêchaient d’aller au bout de mes sujets, d’aller à la rencontre des bons interlocuteurs. J’ai eu envie de creuser. On critique parfois la superficialité des journalistes politiques. La seule réponse à donner, c’est de travailler sur le fond, et l’IHEDN m’apporte un fond précieux ; pas seulement sur les sujets de défense, mais sur tous les sujets connexes. Il permet une approche directe aux acteurs économiques par exemple, à leurs problématiques et donc de mieux saisir les enjeux politiques. L’expérience est précieuse.
Qu’est-ce qui aurait pu vous dissuader de présenter votre candidature à l’IHEDN ?
Je pense qu’il y a une difficulté spécifique liée à la tranche d’âge requise pour présenter sa candidature. Une femme qui a entre 35 et 55 ans a souvent des jeunes enfants ou des adolescents encore à charge. Les statistiques n’ont pas changé : dans les couples en France, ce sont majoritairement les femmes qui portent en priorité la charge des affaires domestiques et familiales.
Les études menées font apparaître un autre problème spécifique aux femmes : elles sont souvent plus « challengées » que les hommes dans leur travail (malgré des niveaux de rémunération inférieurs). Il est peut-être difficile dans ces conditions, de trouver l’énergie, la part de disponibilité intérieure pour ajouter à ces difficultés un parcours de formation aussi exigeant.
Sophie de Ravinel est grand reporter au service politique du Figaro. Elle couvre l’actualité politique nationale (en particulier celle des partis de gauche et de l’écologie) depuis 2008. Elle était auparavant la correspondante du quotidien au Vatican puis en charge à Paris des affaires religieuses.