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Les pays du Golfe face à la guerre en Ukraine

Pour comprendre les conséquences géopolitiques du conflit, il ne suffit pas d’observer la seule guerre en Ukraine. Le reste du monde est aussi en effervescence, notamment les pays du Golfe, qui gagnent en puissance politique grâce à leur neutralité et aux profits tirés des hydrocarbures.

LA POSITION DES MONARCHIES DU GOLFE VIS-À-VIS DE LA GUERRE EN UKRAINE

Depuis le déclenchement du conflit en Ukraine, on constate que les pays du Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCEAG : l’Arabie saoudite, Oman, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Qatar) ne s’alignent pas sur les positions occidentales, même si l’alliance Russie-Iran les pousse vers la neutralité.

Membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies en 2022 et 2023, les Émirats arabes unis (EAU) se sont abstenus lors du vote de février 2022 condamnant l’agression russe en Ukraine, comme la Chine. « Les partenaires occidentaux voyaient pourtant dans les Émirats arabes unis des alliés stratégiques du fait des accords de défense qui les lient et l’étroite coopération économique et énergétique », rappelle Fatiha Dazi-Héni, docteure en science politique et chercheuse spécialisée sur le Golfe à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM).

Mais lorsque l’Assemblée générale des Nations unies adopte une résolution qui « exige que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine », le 2 mars 2022, les EAU, comme tous les pays du Golfe votent pour. Ils soutiennent de nouveau la résolution du 12 octobre qui demande à la Russie de revenir sur sa « tentative d’annexion illégale » de quatre régions ukrainiennes. Ces pays adressent aussi des aides financières et humanitaires à l’Ukraine.

En revanche, ils s’opposent, comme l’immense majorité des pays du Sud, aux sanctions économiques contre la Russie. De même, juste après le déclenchement du conflit, le prince héritier d’Arabie saoudite Mohamed Ben Salman a rappelé au président Macron son attachement à l’accord énergétique OPEP+ (l’OPEP et leurs dix alliés) avec la Russie. Pour Bertrand Besancenot, ancien ambassadeur de France puis émissaire gouvernemental dans plusieurs pays du Golfe, il « est clair c’est que l’Ukraine n’est pas un pays prioritaire pour les pays du CCEAG, même si l’Arabie y a investi dans des terres agricoles pour renforcer sa sécurité alimentaire ».

COMMENT S’EXPLIQUE CETTE POSITION

D’une part, « la Russie est perçue, depuis son engagement militaire en Syrie, comme un acteur incontournable au Moyen-Orient », note Bertrand Besancenot. « Elle est en outre un partenaire essentiel dans le secteur énergétique et cherche à développer sa coopération avec les pays du Golfe dans les secteurs de l’armement et du nucléaire ».

D’autre part, les pays du Golfe n’ont plus confiance en la fiabilité des États-Unis comme garant de la sécurité régionale. « En février 2022, les relations étaient au plus mal entre l’Arabie Saoudite et les États-Unis, mais aussi avec les Émirats arabes unis », rappelle Fatiha Dazi-Héni : depuis qu’en 2019, le président Trump avait choisi de ne pas réagir à des frappes de drones et missiles aux EAU et en Arabie, frappes revendiquées par les rebelles yéménites houthis, mais certainement liées à l’Iran. Les monarchies du Golfe en sortent échaudées. « Le fait qu’un partenaire aussi historique ne les soutienne pas les amène à penser qu’ils ne peuvent pas compter sur eux, ils se sentent extrêmement vulnérables, et cherchent d’autres alliés », analyse la chercheuse. Ce qui profite à la Russie, mais aussi à la Chine.

L’IMPACT DE LA COOPÉRATION MILITAIRE RUSSO-IRANIENNE

Les pays du Golfe sont inquiets de cette coopération, qui change la donne pour les pays du Golfe, mais aussi pour Israël. La livraison de drones iraniens à la Russie contribue à des dommages sur les infrastructures en Ukraine. « Si le partenariat militaire russo-iranien était amené à durer et à se renforcer, cela pourrait effectivement avoir un fort impact sur les pays du Golfe », estime Fatiha Dazi-Héni. La communauté internationale craint que la Russie livre des armes sensibles aux Iraniens et qu’ils puissent s’en servir sur les théâtres en conflit avec les pays du Golfe et l’Israël. Jusqu’à présent, Poutine, dont les relations avec le Premier ministre Netanyahou sont proches, n’a pas franchi ce pas.

CE CONFLIT RENFORCE-T-IL LA PLACE DES PAYS DU GOLFE DANS LE MONDE ?

Avant le conflit, la Russie était un fournisseur majeur d’hydrocarbures pour les pays européens ; depuis les sanctions économiques qu’ils ont progressivement mises en place en réaction à la guerre, mécaniquement, leur demande s’est reportée vers le Golfe.

En 2022, les livraisons de brut des pays du Golfe ont augmenté de 12,7 % sur un an, contre 8,5 % en moyenne mondiale. Ils ont donc engrangé les profits venus du pétrole, qui compte pour 70 % dans leurs finances publiques, et jusqu’à 90 % pour l’Arabie saoudite, selon le FMI. Côté gaz naturel liquéfié (GNL), c’est le Qatar, premier exportateur mondial, qui voit ses positions renforcées et multiplie les contrats, notamment en Europe.

Au final, « avant la guerre, entre 70 et 80 % de la production du Golfe était vendue aux marchés asiatiques, et la majorité de la production d’or noir russe était destinée à l’Europe. Avec les sanctions, c’est le contraire qui se passe », constate Li-Chen Sim, chercheuse à l’Institut du Moyen-Orient aux États-Unis. Et même si le cours du baril de brut est aujourd’hui revenu à son niveau d’avant-guerre, cette manne financière et ces nouveaux marchés plus lucratifs (les Européens, plus riches, sont prêts à payer plus cher pour s’approvisionner), favorisent les investissements des pays du Golfe dans leur stratégie de diversification économique.