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Le Japon, acteur central des enjeux de l’Indopacifique

Du 19 au 24 juin, les auditeurs de la majeure « Enjeux et stratégies maritimes » étaient en mission dans l’archipel extrême-oriental, qui a fait de la mer une composante essentielle de son positionnement géopolitique.

Les 40 auditeurs de la majeure « Enjeux et stratégies maritimes » de la session nationale reviennent d’une semaine de voyage d’étude au Japon, entre rencontres de hauts responsables, conférences et visites de sites d’importance stratégique comme des ministères, des bases navales japonaise et américaine, ainsi qu’un port militaire et commercial.

Très chargé, leur agenda leur a permis d’appréhender la place cruciale qu’occupe l’archipel dans les enjeux géopolitiques actuels, et particulièrement dans la zone indopacifique, au milieu de laquelle il se trouve. Le présent article reprend des informations issues du dossier pédagogique de leur mission.

L’environnement stratégique du Japon l’expose à des défis sécuritaires multiples : à la menace balistique et nucléaire de la très proche Corée du Nord, s’ajoute une confrontation stratégique séculaire avec la Chine. La première a conduit l’archipel à renforcer sa défense antimissile (en coopération avec les États-Unis) ainsi qu’à transformer des porte-hélicoptères en porte-avions propres à accueillir des F-35B. Quant à la seconde, elle dimensionne l’action extérieure du Japon, diplomatique ou de défense, en particulier dans la mer. Le pays souffre en effet d’une vulnérabilité stratégique majeure : sa dépendance aux voies de communication maritimes pour ses approvisionnements énergétiques (pétrole, gaz, charbon), qui le conduit à accorder une importance particulière à la liberté de navigation.

LA CHINE, CONCURRENT STRATÉGIQUE ET PARTENAIRE COMMERCIAL

Une étude de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES) résume bien la place du Japon dans les enjeux maritimes de cette partie du globe :

« L’archipel japonais est la porte d’entrée de l’Asie à partir du pacifique nord. II dispose donc d’un accès sans contrainte à la haute mer de l’océan Pacifique et en contrôle par là même l’accès à partir de la mer du Japon et de la mer de Chine orientale. A contrario, le Japon n’a pas facilement accès à l’océan lndien dont dépendent ses importations d’énergie et plus généralement son économie. Concurrent stratégique de la Chine, ii se trouve dans la position de pouvoir gêner son expansion vers l’est tout en craignant de se voir restreindre l’accès à l’ouest. »

Concurrent stratégique, la Chine est aussi le premier partenaire commercial du Japon, qui est de son côté le deuxième de la Chine. Malgré la recherche d’équilibre de dialogue que nécessite cette interdépendance, le Japon a récemment, à la demande de l’administration américaine, durci le ton avec son voisin continental sur la question de Taïwan. L’alliance nippo-américaine reste en effet la pierre angulaire de la politique extérieure japonaise, d’autant plus depuis que Washington fait pivoter la sienne vers l’Indopacifique. Dans ce contexte, l’archipel voit l’initiative AUKUS comme une contribution bienvenue à sa volonté de constituer un espace Indopacifique « libre et ouvert ».

Tokyo met en œuvre cette vision en réponse à la stratégie chinoise « Belt and Road Initiative ». Le Japon cherche à promouvoir la continuité stratégique entre l’océan lndien et le Pacifique par les voies de communication maritimes. Cette conception présente l’intérêt d’inclure l’Afrique et cherche à exploiter les synergies existantes entre les stratégies japonaise, américaine, indienne et australienne dans la région : le Japon est en effet membre de l’alliance QUAD, un dialogue quadrilatéral de sécurité avec l’Australie, les États-Unis et l’Inde.

« UN NOUVEAU PLAN POUR L’INDOPACIFIQUE LIBRE ET OUVERT »

Côté oriental, l’archipel cherche à se rapprocher des États insulaires du pacifique sud. Un nouveau dialogue multilatéral de défense avec ces pays (Japan Pacific Islands Defense Dialogue) a été créé en 2020. La marine japonaise procède également à des « escales stratégiques » qui visent à s’assurer de l’ouverture et de l’utilisation non-exclusive des principaux ports de la région.

Le Japon s’implique plus qu’auparavant du côté de l’océan Indien : envoi de navires de guerre depuis 2001 pour sécuriser les lignes de communication maritimes, exercices conjoints annuels avec l’lnde depuis 2017, don de patrouilleurs au Sri Lanka, financement d’infrastructures dans les pays côtiers… Le Premier ministre japonais a d’ailleurs annoncé un « nouveau plan pour l’lndopacifique libre et ouvert » à l’occasion de son déplacement en lnde le 20 mars dernier.

Le Japon s’associe aussi aux nations adoptant des postures fermes vis-à-vis de la Chine, dont l’Australie et le Royaume-Uni. L’Australie est le premier partenaire du Japon dans le domaine de la défense après les États-Unis, comme le montrent la montée en gamme de la coopération militaire, la multiplication des échanges à haut niveau et la signature le 6 janvier d’un accord d’accès réciproque (RAA). L’initiative AUKUS a sans doute accéléré les négociations de Tokyo avec Londres, qui a aussi signé un RAA sur le modèle australien avec Tokyo le 11 janvier 2023, faisant du Royaume-Uni le premier partenaire du Japon en Europe.

UN « PARTENAIRE D’EXCEPTION » DE LA FRANCE

En ce qui concerne la France, la relation bilatérale est structurée depuis 1995 par un partenariat stratégique, transformé en 2013 en « partenariat d’exception ». Côté mer, la deuxième édition du dialogue maritime global franco-japonais s’est tenue le 2 février 2023 au ministère des Affaires étrangères japonais, à Tokyo. Les deux parties se sont félicitées de l’adhésion de la France à l’HACGAM (Heads of Asian Coast Guards Agencies Meeting), en décembre 2021, et de la signature d’une feuille de route pour le renforcement de la coopération maritime entre les garde-côtes japonais et le Secrétariat général français de la mer en juillet 2021. Le SG Mer a porté le souhait d’un approfondissement de la coopération en matière de Maritime Domain Awareness (MDA) pour la surveillance des Zones économiques exclusives (ZEE) des deux pays. II a également été question d’un renforcement de la coopération bilatérale entre la Marine nationale française et la force maritime d’autodéfense et la garde côtière japonaises.

Depuis le 13 mars 2015, les deux pays sont en outre liés par un accord intergouvernemental (AIG) sur le « transfert d’équipements et de technologies de défense » qui encadre leur relation d’armement. Le taux de pénétration de l’industrie d’armement française demeure cependant faible sur un marché potentiellement important avec un partenaire de niveau technologique complémentaire. Les prises de commandes annuelles du Japon sont traditionnellement limitées (700 M€ cumulés sur les dix dernières années). Les principales collaborations industrielles concernent les mortiers et les avions de surveillance maritime.

Enfin, le Japon est aussi un partenaire majeur de l’Union européenne. L’accord de partenariat stratégique {APS) et l’accord de partenariat économique {APE) ont été signés en juillet 2018. En septembre 2019, l’UE et le Japon ont également conclu un partenariat sur la coopération en matière de connectivité, afin de promouvoir une connectivité durable et fondée sur des règles et dont le travail d’opérationnalisation est actuellement poursuivi.

L’ensemble de ces mesures est très directement dirigé contre l’expansionnisme chinois, dont le Japon craint les conséquences directes à la fois pour son économie et pour l’intégrité de son territoire. Le Japon prend donc des mesures de prévention et de dissuasion, tout en contribuant à une plus grande autonomie des pays en première ligne des revendications chinoises en mer de Chine méridionale.