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La France en Indopacifique : une priorité d’importance croissante

À l’occasion de la Session internationale pour l’Indopacifique, réunie à Paris cette semaine, point d’étape sur les dernières annonces concernant la stratégie française dans cette région.
La France en Indopacifique : une priorité d’importance croissante

Cette semaine se tient à l’École militaire la Session internationale pour l’Indopacifique (SIIP) 2023, organisée par l’IHEDN et la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Un total de 50 participants venus de 29 pays suivent des tables rondes et conférences au sujet de cette région dont la place est devenue cruciale dans l’échiquier politique mondial.

Présent à la SIIP, l’ambassadeur de France pour l’Indopacifique Marc Abensour résume bien pourquoi : « C’est le centre de gravité de l’économie mondiale. C’est également une zone qui est traversée par des foyers de tension : détroit de Taïwan, péninsule coréenne, mer de Chine du Sud… »

Le diplomate ajoute : « C’est une zone prioritaire pour la diplomatie française. » Car bien que cette partie de l’échiquier soit éloignée de l’Europe, la France y tient une place d’importance. D’un strict point de vue géographique, d’abord, puisque plusieurs de ses départements ou régions d’outre-mer et Communautés d’outre-mer (DROM-COM) s’y trouvent : les îles de Mayotte et de La Réunion, les îles Éparses et terres australes et antarctiques françaises, la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française. On peut y ajouter l’atoll inhabité de Clipperton, dans le Pacifique nord, au large du Mexique. Le tout représente la plus grande part de la zone économique exclusive (ZEE) française, la deuxième plus importante au monde : 9 des 11 millions de km².

Humainement, ensuite : ces DROM-COM rassemblent une population totale de 1,65 million d’habitants, auxquels il faut ajouter les Français habitant dans les pays de la zone, soit 2 millions de personnes au total. Concernant les forces armées, 8 300 militaires s’y trouvent en mission, au sein de forces prépositionnées. Économiquement, enfin : alors que 7 000 filiales d’entreprises françaises sont implantées dans la région, celle-ci pourrait représenter plus de 50 % du produit intérieur brut (PIB) mondial dès 2040, selon le Fonds monétaire international (FMI). Toujours en 2040, 75% des réserves de matières premières critiques s’y trouveront. En attendant, la région pèse déjà pour plus d’un tiers du commerce extérieur français en dehors de l’Union européenne.

LA FRANCE PROPOSE UNE TROISIÈME VOIE ENTRE CHINE ET ÉTATS-UNIS

Depuis l’établissement d’une stratégie dédiée en 2018, la France affirme donc de plus en plus ses ambitions dans l’Indopacifique, comme d’autres pays. En 2023, les responsables de la politique étrangère française, Emmanuel Macron et Catherine Colonna, ont pris la parole à plusieurs reprises sur cette question.

Le 28 août, à l’occasion de la Conférence des ambassadrices et ambassadeurs au Quai d’Orsay, le président de la République a consacré une bonne partie de son discours sur « les défis et priorités de la politique étrangère de la France » à rappeler les termes de cette politique, « une politique d’exigence et d’engagement avec la Chine » : « La France n’a pas une politique d’hostilité à la Chine. Nous avons une politique d’engagement, nous voulons améliorer les termes de l’échange sur le plan économique, on considère que c’est un grand partenaire sur le plan technologique et autre. Nous savons que les sujets de paix et de climat, pour n’en citer que deux, ont besoin de la Chine pour avoir une solution. »

Le Président notait aussi que beaucoup d’États de la région « ne veulent pas être enfermés, en quelque sorte, dans le choix entre les États-Unis et la Chine ». « La France, dans ce contexte, doit chercher à être une puissance partenariale de confiance », mais sans équidistance entre les deux superpuissances qui font de cette région un terrain privilégié de leur rivalité. Les États-Unis « sont nos alliés, nous partageons les mêmes valeurs et on n’a pas la même relation avec la Chine ». Paris, qui se veut « puissance d’équilibre », propose donc une « troisième voie » aux États de la zone indopacifique.

Point « absolument clé » pour le chef de l’État, l’engagement des collectivités ultramarines dans la diplomatie régionale française. La future Académie militaire du Pacifique basée à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, sera ainsi utile pour la diplomatie de défense et de sécurité. En la matière, la mission Pégase 2023 a permis de coopérer avec « plusieurs dizaines de pays de la région », a déclaré le président de la République à Port-Vila, capitale du Vanuatu, le 27 juillet.

DÉFENDRE « LA SOUVERAINETÉ DE TOUS LES ÉTATS DE LA RÉGION »

Dans cet autre discours important cette année sur la stratégie française en Indopacifique, le chef de l’État a loué les partenariats noués avec le Vanuatu et d’autres pays de la région, et annoncé l’ouverture prochaine d’une ambassade aux îles Samoa, la première dans le Pacifique.

Il a aussi dénoncé « de nouveaux impérialismes qui apparaissent et une logique de puissance qui vient menacer la souveraineté de nombreux États, les plus petits, souvent les plus fragiles » : « Notre stratégie indopacifique consiste d’abord et avant tout à défendre, par ces partenariats, l’indépendance et la souveraineté de tous les États de la région qui sont prêts à travailler avec nous. »

« Cette stratégie repose d’abord sur notre réengagement diplomatique et militaire », a détaillé le Président. « Notre présence militaire en Polynésie française et plus encore en Nouvelle-Calédonie (…) ce sont, à moins d’une heure d’avion, 1 600 militaires, des capacités aériennes, maritimes, terrestres. Et par la loi de programmation militaire [2024-2030, ndlr], nous allons investir 150 millions d’euros en équipements, en matériel de dernière catégorie, et nous allons déployer 200 militaires supplémentaires. »

Dans le contexte du changement climatique, cette présence militaire représente aussi un atout humanitaire : « La force de cette présence, c’est sa complétude, mais c’est aussi sa réactivité, comme en témoigne le patrouilleur maritime de dernière génération [qui] va deux fois plus vite que son prédécesseur. Et cette réactivité, vous l’avez vue, quand, grâce à nos forces armées, le lendemain du cyclone de mars, la France a pu déployer du matériel humanitaire ici même pour venir en aide aux populations. Plusieurs tonnes de matériels déployés. Nous étions le premier pays à réagir grâce à ces capacités. »

RENFORCER LES PARTENARIATS BILATÉRAUX ET LA COOPÉRATION MULTILATÉRALE

À la conférence des ambassadeurs du 28 août, la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a évoqué dans sa déclaration l’avancement de différents partenariats bilatéraux dans la région : « Notre diplomatie s’affirme au service de nos intérêts de souveraineté, dans le respect du droit, le refus de la dépendance et de l’alignement, mais sans ambigüité sur nos alliances, et donc sans équidistance. C’est ce que nous faisons avec le Japon, un partenaire d’exception depuis des décennies, et désormais avec l’Indonésie. Nous créons une dynamique inédite avec la Corée, où je me suis rendue en avril, et confortons notre partenariat historique avec Singapour. Nous posons aussi les bases d’une nouvelle relation avec l’Australie, pas forcément celle que nous avions pu envisager un temps, mais forcément amicale, puisque beaucoup nous rapproche. »

Elle a aussi affirmé l’intention de renforcer la coopération multilatérale, la France devant « être plus présente auprès des organisations régionales, à commencer par l’ASEAN [Association des nations de l’Asie du Sud-est, dont Paris est partenaire de développement, NDLR] et le Forum des îles du Pacifique, et créer des ponts entre ses partenaires dans des formats ad hoc, à l’instar de celui que j’ai lancé avec mes homologues indien et émirien d’une part, et de celui que j’ai ravivé avec mes homologues indien et australienne d’autre part, et qui sont particulièrement prometteurs. »

Alors que le Premier ministre indien, Narendra Modi, était le 14 juillet l’invité d’honneur du défilé sur les Champs-Élysées, la France continue aussi de s’affirmer dans cette sous-région de l’Indopacifique. Seul État européen à être membre de l’Association des pays riverains de l’océan indien (IORA, Indian Ocean Rim Association), elle joue là encore la carte du multilatéralisme face à la montée des impérialismes. Idem pour la coopération de défense avec le Shangri-La Dialogue : le ministre des Armées (ou de la Défense) y participe depuis 2012, la France étant l’unique pays européen dans ce cas.

 « Notre affirmation dans l’Indopacifique s’appuie sur nos territoires ultramarins autant qu’elle les sert, car nous nous assumons pleinement cette singularité d’être à la fois nation européenne et nation de l’océan Indien et du Pacifique », résumait le 28 août la patronne du Quai d’Orsay.