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RT, chaîne de propagande russe à la ligne élastique

Maxime Audinet, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire, était l’invité du dernier débat stratégique de l’IHEDN. À travers l’exemple de la chaîne d’information étatique RT, il décrypte les mécanismes de la stratégie d’influence russe à l’international.
Visuel du compte rendu du débat stratégique de Maxime Audinet

Lundi 22 avril, Guillaume Lasconjarias, directeur des études et de la recherche de l’IHEDN, recevait le chercheur Maxime Audinet pour son livre « Un média d’influence d’Etat Enquête sur la chaîne russe RT », publié par les éditions de l’INA. Issu de la thèse de l’auteur, cet ouvrage a reçu en mai 2022 le prix du livre Recherche sur le journalisme des Assises du
journalisme de Tours et vient d’être réédité le mois dernier. Chercheur en stratégie d’influence à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), spécialiste de l’influence extérieure de la Russie post-soviétique, Maxime Audinet est cofondateur du CORUSCANT – les amateurs de Star wars apprécieront –, le Collectif de recherche sur la Russie contemporaine pour l’analyse de ses nouvelles trajectoires, branche européenne du Russia Program.

« On va se dire les choses en vérité, mais Russia Today et Sputnik ne se sont pas comportés comme des organes de presse et des journalistes. Mais ils se sont comportés comme des organes d’influence, de propagande et de propagande mensongère, ni plus ni moins ». Telle est la réponse donnée par le président de la République Emmanuel Macron, lors de la
conférence de presse conjointe avec Vladimir Poutine tenue à Versailles le 29 mai 2017, pour expliquer le refus de l’accès de son quartier général à ces deux médias pendant la campagne présidentielle.

Influence, désinformation – du mot desinformatzia né à l’ère soviétique –, propagande ont en commun la manipulation de  l’opinion publique. Nous sommes aujourd’hui dans une guerre informationnelle sans en prendre la mesure. La désinformation est devenue une arme qui sape nos démocraties. Comme l’explique Maxime Audinet, la Russie s’appuie sur trois types d’acteurs :

  • Des acteurs étatiques, tels Russia Today (renommée depuis simplement RT), qui relayent la diplomatie, la communication des ambassades et des ministères, voire des services de renseignement.
  • Des acteurs non officiels, comme la « galaxie Prigojine », contractuels de la désinformation sous-traités par le Kremlin qui font du marketing numérique en plus de leurs activités « normales ». Citons à titre d’exemple, l’opération Doppelgänger détectée par VIGINUM (le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères créé en 2021).
  • Des acteurs tiers, acteurs étrangers à la Russie qui agissent pour des raisons militantes ou idéologiques et vont relayer les informations, voire coopérer avec les acteurs russes pour participer à la promotion des récits ou des intérêts qui servent la Russie.

Chiffres à l’appui, le chercheur rappelle que RT est aujourd’hui l’acteur le plus connu et le plus subventionné par l’État russe : c’est un véritable média d’État d’influence. Il est né au milieu des années 2000 lorsque la Russie s’est trouvée confrontée aux « révolutions de couleur », notamment la révolution orange en Ukraine, qu’elle a perçues comme une menace, voire comme une ingérence des pays occidentaux. Il s’est internationalisé entre 2005 et 2022 avec 7 chaînes d’information en continu ainsi qu’une forte présente numérique après l’invasion de l’Ukraine. Les sanctions prises par l’Union européenne ont été fondées sur un terrain politique pour ne pas tomber sur le terrain de la liberté d’expression : les mesures ont été justifiées pour affaiblir les capacités informationnelles de la Russie à l’étranger.

La posture du média a évolué au cours du temps : média de soft power à l’origine destiné à améliorer l’image de marque de la Russie, vue principalement comme un « gros ours qui grogne ». Un changement complet de posture a eu lieu après la guerre en Ossétie du Sud en 2008. Russia Today est alors devenu un média global « alternatif », se présentant comme une source concurrente d’une norme jugée dominante : un média capable de « concurrencer le monopole des médias anglo-saxons dans le flux mondial de l’information », selon les propres termes de Vladimir Poutine en 2013. « Nous travaillons pour l’État, nous défendons notre patrie, comme le fait par exemple l’armée », n’hésite pas à déclarer publiquement Margarita Simonian, la rédactrice en chef de RT. Est désormais préférée une approche « populiste » qui s’oppose à la majorité silencieuse des élites, une volonté affichée d’inscrire l’espace médiatique dans un cadre de conflictualité.

Grâce à un travail minutieux d’analyse, Maxime Audinet montre que RT n’affiche pas une ligne éditoriale rigide malgré la nature propagandiste des informations données. La ligne éditoriale est élastique ; elle s’adapte au public ciblé : on ne parle pas de la même manière à des hispanophones d’Amérique latine ou à des souverainistes français. Les sujets se nourrissent d’un terreau fertile et d’une bonne connaissance du public ciblé. RT joue sur la corde émotionnelle, appuie « là où cela fait mal », entretient l’ambivalence – rien n’est vrai ni complètement faux –, brouille la perception, désoriente et fait douter le public ciblé de la véracité des informations qu’il entend habituellement.

Un ouvrage bien écrit qui plonge le lecteur dans une enquête policière de la vie des réseaux et l’invite à la vigilance tant la guerre de l’information fait partie d’un nouveau champ de bataille cognitif.

Isabelle Corbier
Présidente du Comité Études; Perspective – AA-IHEDN

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