Les relations entre la France et l’OTAN, objet ce lundi d’un débat stratégique de l’IHEDN, n’ont pas toujours été simples, même si elles n’ont jamais mené à la rupture. L’un des douze États fondateurs en 1949 (32 en sont membres aujourd’hui), elle s’est retirée du commandement militaire intégré en 1966.
Entre-temps, la France a accueilli sur son sol le siège de l’organisation (à Paris, dans l’actuel bâtiment de l’université Dauphine), le grand quartier général des puissances alliées en Europe (SHAPE, à Louveciennes) et le commandement du théâtre Centre-Europe (à Fontainebleau), ainsi que de nombreuses bases américaines et canadiennes.
Depuis son retour dans le commandement militaire intégré, en 2009, la France a logiquement retrouvé une place plus importante dans les organismes décisionnaires de l’alliance.
LES SIGNATAIRES DE 1949 : ROBERT SCHUMAN ET HENRI BONNET
L’un des deux « pères » français de l’Union européenne (avec Jean Monnet), Robert Schuman est aussi celui de l’OTAN, en tant que signataire du traité de l’Alliance atlantique le 4 avril 1949 à Washington. Ministre des Affaires étrangères après Georges Bidault, il reprend les négociations menées par ce dernier, favorable à la présence de troupes américaines en Europe. Le jour de la signature du traité, Schuman résume dans son discours les objectifs français : « Le souci exclusif de la France est de rendre impossible toute invasion de son propre territoire ou du territoire des nations éprises de paix. »
Mais dans cette IVe République où les gouvernements chutent en général au bout de quelques semaines, le rôle de l’autre signataire français, l’ambassadeur de France à Washington, est primordial.
Titulaire du poste pendant plus de dix ans, de l’automne 1944 à fin 1954 (record de longévité toujours inégalé), Henri Bonnet a négocié plusieurs dossiers d’importance, comme la naissance de l’ONU à la Conférence de San Francisco ou le Plan Marshall. Et, donc, le Traité de l’Alliance atlantique. Signataire avec Schuman le 4 avril 1949, il se tient debout juste derrière le président américain Harry Truman dans le bureau ovale de la Maison-Blanche le 23 août, au milieu des diplomates des pays fondateurs, quand ce dernier proclame l’entrée en vigueur de l’OTAN.
Au cours de cette brève cérémonie, le plénipotentiaire français affirme : « Je tiens à souligner de nouveau la conviction de mon gouvernement que l’entrée en vigueur du traité de l’Atlantique nord et l’exécution de ses clauses doivent marquer un pas décisif vers l’organisation de la sécurité. »
LE PREMIER MILITAIRE DE HAUT RANG : LE MARÉCHAL JUIN
Dans les premières décennies de l’OTAN, les États-Unis concèdent à la France une place majeure dans l’Alliance, qui devient – sur le papier – l’un des trois pays leaders avec le Royaume-Uni. Outre les installations géographiques mentionnées plus haut, le commandement le plus crucial en cette période de guerre froide, le quartier général des forces alliées en Europe centrale, est confié à un Français.
Le premier titulaire est un héros de la Seconde Guerre mondiale. Le général d’armée Alphonse Juin exerce d’abord, à compter de 1951, les fonctions de commandant en chef des forces terrestres de l’OTAN en Europe sous l’autorité du général américain Dwight D. Eisenhower, ancien commandant en chef des forces alliées sur le continent à la fin de la guerre, et premier chef du Commandement suprême allié en Europe (SHAPE). En 1953, l’OTAN réorganise sa structure, et nomme Juin, élevé entre-temps à la dignité de maréchal de France, chef de l’AFCENT, le commandement Centre Europe.
À cette époque, le trio de pays dirigeant l’OTAN est déséquilibré en faveur des Anglo-Saxons : les Américains assurent 7 commandements, et les Britanniques, 5 commandements subordonnés. C’est pourquoi le seul commandement alloué aux Français est le plus important de tous après le SHAPE (toujours exercé par un Américain).
Dernier maréchal de France nommé de son vivant, Juin gardera toujours une liberté de parole vis-à-vis de Charles de Gaulle, son camarade de promotion à Saint-Cyr, qu’il tutoyait. En 1959, alors que le héros de la France libre est président de la République depuis moins d’un an, le 7-étoiles avertit, lors d’une conférence donnée à Vichy à l’occasion du 10ème anniversaire de l’OTAN : « Pour ce qui est de notre sécurité, il importe que nous restions fermement attachés à l’organisation atlantique […], bornant sur le plan militaire son ambition au seul maintien d’un juste équilibre de forces qu’on placerait sous un contrôle commun qui ne soit pas une duperie. C’est exactement l’équilibre sur lequel repose aujourd’hui la sécurité de notre vieux monde occidental, toujours à la merci d’une poussée démentielle d’un homme ou d’un peuple. C’est à quoi il faut veiller avec attention pour éviter le retour soudain des temps désespérés. »
On va voir que De Gaulle, avec qui Juin rompra l’année suivante autour de la question algérienne, va prendre une position en apparence différente.
PIERRE MESSMER, LE TIGRE DE L’OTAN
Pierre Messmer, ministre des Armées de De Gaulle, surnommé « le Tigre » comme Georges Clemenceau ? C’est possible quand on évoque l’histoire culturelle de l’OTAN. Occupant l’hôtel de Brienne de 1960 à 1969, Messmer souhaite renforcer la cohésion entre les différentes unités militaires des pays de l’Alliance. En 1961, il pousse la création d’une association toujours active aujourd’hui, nommée Association of Tiger Squadrons, ou NATO Tiger Association.
Rassemblant des unités issues des pays membres, elle entend favoriser le partage d’expérience, améliorer l’interopérabilité et renforcer la solidarité et l’esprit d’équipe. Toute unité équipée d’avions ou d’hélicoptères peut y participer. Chaque année, des Tiger Meets ont lieu et sont l’occasion d’exercices conjoints.
Le rassemblement 2024 se tient ces jours-ci (du 3 au 13 juin) en Allemagne, avec des vols d’unités représentant les trois armées françaises : la base aérienne navale de Landivisiau (Rafale Marine), la base aérienne d’Étain-Rouvres de l’aviation légère de l’armée de Terre (hélicoptères SA-342M Gazelle, EC-665 Tigre HAP et NH90), et la base aérienne 118 de Mont-de-Marsan (Rafale B et C).
CHARLES AILLERET : POUR DE GAULLE, L’AUTONOMIE STRATÉGIQUE FRANÇAISE
Avant même d’être élu président de la République fin 1958, Charles de Gaulle, président du Conseil, affirme avec force, lors d’une réunion le 17 juin de la même année : « Notre place dans l’organisation de l’OTAN doit être reconsidérée. Les Américains disposent dans l’organisation des commandements d’une prépondérance écrasante. Nous sommes complètement tenus à l’écart des plans. » Le 11 mars 1959, il décide de retirer l’escadre française de Méditerranée du commandement intégré naval allié, puis demande aux Américains de redéployer hors de France leurs escadres aériennes dotées de l’arme nucléaire. Le 3 novembre de la même année, lors d’un discours dans la Rotonde de l’École militaire, il martèle la nécessité que la « défense de la France fût française ». En 1962, les flottes de l’Atlantique et de la Manche quittent aussi le commandement otanien.
Le 16 juillet 1962, il nomme chef d’état-major des armées le général Charles Ailleret, qui s’était opposé au putsch des généraux à Alger l’année précédente et avait annoncé le cessez-le-feu du 19 mars 1962. De Gaulle le charge d’organiser le retrait effectif de la France du commandement intégré de l’OTAN, qu’il mûrit donc de longue date. Le général d’armée Ailleret est un théoricien de l’autonomie stratégique française, et en particulier de la question nucléaire, au cœur de la décision de De Gaulle. L’arme nucléaire française est justement opérationnelle à la même période.
En septembre 1965, de Gaulle annonce qu’« au plus tard en 1969 cessera la subordination qualifiée d’intégration qui est prévue par l’OTAN et qui remet notre destin à l’autorité étrangère ». Le choix de cette année n’a rien d’un hasard : en 1949, le traité avait été signé pour 20 ans. Dès 1967, le retrait est annoncé et les bases américaines en France sont évacuées. La France récupère son autonomie de décision.
Mais elle n’a pas pour autant quitté l’OTAN : signé en août 1967, l’accord Ailleret-Lemnitzer permet à la France d’intervenir au sein de l’OTAN tout en gardant le commandement de ses troupes.
GISCARD, MITTERRAND, CHIRAC PUIS SARKOZY : UN RETOUR PROGRESSIF AU CŒUR DE LA MACHINE
Tout au long des présidences suivantes, la France continuera d’affirmer de diverses manières son appartenance atlantique. C’est ce que résumera François Fillon, Premier ministre du président de la République Nicolas Sarkozy, lors de son discours devant l’Assemblée nationale annonçant le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN, le 11 février 2009. Il y détaillait les contours de l’autonomie stratégique française :
« Cette autonomie ne fut cependant jamais conçue comme une marque de neutralité ou de défiance vis-à-vis de l’Alliance atlantique dont nous sommes toujours restés membres. Du reste, à peine le retrait décidé, nous confirmons par plusieurs accords notre volonté de continuer à travailler avec l’OTAN – l’accord Ailleret-Lemnitzer en 1967 et l’accord Valentin-Ferber en 1974. En 1983, se tient à Paris un Conseil atlantique, ce qui constituait une première depuis 1966. En 1991, la France participe à la rédaction du nouveau concept stratégique de l’Alliance. Dans les années 1990, nous sommes de toutes les opérations en Bosnie, où la France, pour la première fois, participe à une opération de l’OTAN. À partir de 1993, toujours sur décision de François Mitterrand, le chef d’état-major des armées est autorisé pour la première fois à intervenir au comité militaire de l’OTAN, sur les questions de maintien de la paix. À partir de 1994, il y est autorisé sur l’adaptation des structures de l’Alliance, sur la coopération avec l’Est et sur la non-prolifération. En 2004, plus d’une centaine de Français sont affectés aux commandements de Mons et Norfolk. Aujourd’hui, nos troupes sont engagées avec l’OTAN au Kosovo et en Afghanistan. Nous sommes le quatrième contributeur de l’OTAN en termes de forces et nous sommes présents dans quasiment tous les comités de l’OTAN. »
AUJOURD’HUI, UN GÉNÉRAL ET UNE CIVILE HAUT PLACÉS DANS LA HIÉRARCHIE
Depuis le retour de 2009, la France occupe à nouveau l’un des plus hauts postes de la hiérarchie militaire otanienne, comme à l’époque du maréchal Juin. Sous l’égide du comité militaire (actuellement présidé par un amiral néerlandais), deux commandements suprêmes alliés stratégiques constituent les principales directions militaires actives de l’OTAN.
Celui en charge des opérations (SACO) est toujours dirigé par un Américain. L’autre, en charge de la transformation (SACT) et basé à Norfolk aux États-Unis, est réservé à un Français. Il s’agit, depuis 2021, du général d’armée aérienne Philippe Lavigne, qui fut auparavant le premier chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace.
L’autre Français actuellement le plus haut placé dans la hiérarchie otanienne est une Française : depuis septembre 2023, Marie-Doha Besancenot est secrétaire générale adjointe pour la diplomatie publique, l’une des huit officiels à ce rang, derrière le secrétaire général Jens Stoltenberg et son bras droit, Mircea Geoană.
Outre ces deux hauts responsables français, d’autres militaires et civils occupent aussi des postes importants. Le général de corps d’armée Hubert Cottereau d’abord, n°4 (vice-chef d’état-major) du SACO. Le général de corps d’armée Jean-Pierre Perrin est chef d’état-major (n°3 dans la hiérarchie) du commandement des forces interarmées permanent (JFC) de Brunssum (Pays-Bas), subordonné au SACO. Dans l’autre JFC, celui de Naples, le contre-amiral Jean-Emmanuel Roux de Luze est chef d’état-major adjoint en charge des opérations (quatrième dans la hiérarchie).
Par ailleurs, au siège de l’OTAN à Bruxelles, le général de division François-Marie Gougeon est directeur de la division politique et capacités de l’état-major. Citons enfin François Gautier (un civil passé par Saint-Cyr), chef des services du contrôle interne, lui aussi en fonction au siège à Bruxelles.