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Économie de guerre : comment la France s’adapte à la haute intensité ?

Les capacités militaires françaises sont sorties affaiblies de plusieurs décennies de paix en Europe. Une fois ce constat effectué, l’exécutif entend adapter les armées à la nouvelle donne stratégique née de la guerre en Ukraine.

Des décennies d'évolution capacitaire à la baisse

Au milieu des années 1980, le lancement de la perestroïka par le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev signe la fin de quarante ans de Guerre froide. Pour les démocraties occidentales, il est temps de récolter « les dividendes de la paix ». En France, puissance nucléaire, la doctrine de défense repose désormais sur deux piliers : la dissuasion nucléaire donc, et la capacité à se projeter rapidement sur des terrains de guerre extérieurs.

Sur le plan politique, cette nouvelle donne se traduit par une dépendance très forte de la dépense militaire aux contraintes économiques conjoncturelles. Le budget de la défense devient variable d’ajustement budgétaire : les crédits d’équipement « sont vus comme quelque chose qu’on peut décaler, reporter, voire annuler pour partie », relève l’économiste Julien Malizard, titulaire adjoint de la chaire Économie de défense de l’IHEDN, dans une rencontre en janvier.

Le budget de la défense devient quasiment neutre (et quelquefois négatif par rapport au rythme de la croissance). On constate une « inexécution fondamentale des lois de programmation militaire, avec parfois le manque d’une année d’équipement sur 4 ou 5 ans d’exécution d’une LPM », ajoute Julien Malizard.

Conséquence : en Europe, les démocraties désarment massivement : « Entre 1999 et 2014, les pays européens ont eux-mêmes réduit de 66 % leurs parcs de chars de bataille, de 45 % leur aviation de combat et de 25 % leur flotte de bâtiments de surface », constatent les chercheurs de l’IFRI Michel Pesqueur et Élie Tenenbaum dans la Revue Défense Nationale. Et entre 2009 et 2014, les armées françaises perdent quasiment le quart de leurs effectifs.

Première bascule depuis 2014 : combler les lacunes, ajuster les volumes

À la suite de la crise financière de 2008, le Président américain Barack Obama commence à désengager son pays des conflits extérieurs. La superpuissance occidentale se voit de plus en plus occupée par la rivalité chinoise, ce qui n’échappe pas aux alliés des États-Unis.

La France prend la mesure de ce nouveau contexte stratégique, que résument l’économiste Nicolas Baverez et l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve dans un rapport rendu pour l’Institut Montaigne en 2021 : « Crise financière, cyberattaques, terrorisme islamiste, pandémie, manipulations de l’information, investissements étrangers dans des secteurs stratégiques, retour des puissances militaires : depuis les années 2000, les risques et les menaces auxquels la France et l’Europe sont confrontées se sont accrus et diversifiés. »

Le diptyque dissuasion nucléaire/projection extérieure est dépassé. Et « le modèle reposant sur la qualité, mais avec des quantités réduites pour des questions de coût est désormais fragilisé », ajoute Nicolas Baverez pendant la rencontre autour de son rapport organisée par la chaire Économie de défense de l’IHEDN. La France constate ses incapacités : drones achetés à l’étranger, munitions et pièces de rechange insuffisantes…

L’économiste cite deux exemples d’équipements trop peu livrés en raison d’arbitrages budgétaires :

  • la France n’a que 76 canons Caesar, dont la dernière commande remonte à 2011
  • sur les 17 frégates FREMM prévues en l’an 2000, seules 8 ont été livrées en 2023.

Sur le plan budgétaire, c’est mieux : les crédits français pour la défense ont augmenté de 12% depuis 2014-21, à 52 milliards de dollars US en 2019. Mais l’Allemagne et l’Italie, qui partaient de plus bas, ont vu les leurs croître de 30% et 25% respectivement.

Depuis la guerre en Ukraine : produire plus et plus vite, en maîtrisant les coûts

En 2022, le conflit en Ukraine provoque une prise de conscience majeure, y compris dans l’opinion publique. Désormais, « la clé, c’est le retour de la capacité à faire face au combat de haute intensité », estime Nicolas Baverez. La France entre dans une économie de guerre.

En septembre, le ministre des Armées Sébastien Lecornu prend donc quatre engagements devant les dirigeants de la base industrielle et technologique de défense (BITD), pour les aider à atteindre l’objectif de produire plus et plus vite :

  1. simplifier l’expression de besoin : « pour répondre aux besoins de massification, la direction générale de l’Armement (DGA) et les armées doivent formuler des demandes plus simples à réaliser. »
  2. Simplifier les procédures administratives : c’est « indispensable », puisque « la culture du risque en temps de guerre ne pourra pas être la même qu’en temps de paix ».
  3. Mettre en place un agenda de relocalisation « pour ne pas être dépendant d’un savoir-faire étranger et pour protéger le savoir-faire français ».
  4. Changer d’approche sur la gestion des stocks, « qui seront désormais évalués pour répondre à l’hypothèse d’un engagement majeur ».

Annoncée en janvier 2023, la LPM 2024-2030 (d’un budget de 413 milliards d’euros) marque le retour à un engagement comparable à celui “des gaullistes dans les années 1960”, selon Sébastien Lecornu. La dissuasion nucléaire sera renforcée, avec de nouveaux missiles et une troisième génération de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE).

Cette LPM a vocation à transformer les armées pour les adapter à l’émergence de nouvelles menaces : « La France va s’engager plus franchement sur des domaines comme le cyber, le spatial, le renseignement, la défense sol-air de nouvelle génération et les drones. Ces seuls thèmes représentent plusieurs dizaines de milliards d’euros entre 2024 et 2030. »

En parallèle, l’exécutif entend relancer l’autonomie stratégique européenne pour peser plus au sein de l’OTAN, tout en effectuant des économies d’échelle.

 

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