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Haute mer : derrière le traité international,
une stratégie de défense nationale

L’ONU vient d’annoncer un accord « historique » sur la biodiversité en haute mer. L’occasion de faire le point sur un espace de plus en plus contesté, et sur la stratégie française de défense de ses zones maritimes.

LE TRAITÉ ET CE QUI A POUSSÉ À L’ADOPTER

Début mars, l’ONU a annoncé un accord qu’elle qualifie « d’historique » sur la biodiversité en haute mer. « Décisive » selon le secrétaire général de l’organisation, António Guterres, « cette action est une victoire pour le multilatéralisme et pour les efforts mondiaux visant à contrer les tendances destructrices auxquelles est confrontée la santé des océans, maintenant et pour les générations à venir ».

Ce « traité sur la haute mer » intervient dans un contexte de compétition croissante dans ces espaces, situés au-delà des 200 milles nautiques (370 km) depuis les côtes constituant le maximum des Zones économiques exclusives (ZEE) des États, et qui représentent 60 % de la surface des océans et la moitié de celle de la planète. Jusqu’ici, ces espaces non étatisés sont des zones de non-droit, ce qui laisse le champ à toutes sortes d’appropriation, de prédation ou de trafics. Dès 1983, l’historien Hervé Coutau-Bégarie le notait : « Auparavant simple théâtre de conflits, la mer est devenue objet de conflits. »

Inscrit dans les objectifs du programme de développement durable 2030, ce traité est un des outils pour atteindre « l’objectif 30 pour 30 » visant à protéger 30 % des océans d’ici 2030. Concrètement, il vise : la définition d’un cadre réglementaire ; la reconnaissance d’un patrimoine commun de l’humanité ; l’internationalisation des décisions sur les études d’impact environnemental ; le partage juste et équitable des avantages découlant des ressources génétiques marines ; la création d’aires protégées marines afin de préserver, restaurer et maintenir la biodiversité ; et la production de connaissances, d’innovations techniques et d’une compréhension scientifique.

Le texte, qui ne peut plus être modifié sur le fond, sera adopté lors d’une future réunion des délégations à l’ONU.

HORS TRAITÉ, LA QUESTION DE LA DÉFENSE

Comme on le voit, la défense n’est pas dans le périmètre de ce traité. Or, comme le relevait l’IHEDN dans un article en novembre, « au même titre que l’espace ou le cyberespace, la mer est un espace commun où l’environnement est global, fluide et sans frontière évidente ». Elle est d’une importance majeure dans l’économie mondiale : outre ses ressources halieutiques et le potentiel minier et énergétique de ses fonds, 90 % des échanges commerciaux y transitent, ainsi que 90 % des flux numériques par des câbles sous-marins.

Cette situation est génératrice de conflits. Ainsi en mer de Chine méridionale, où la Chine revendique une myriade d’îles et archipels afin de pouvoir étendre sa ZEE. Ou en Méditerranée, avec les tentatives d’exploration et de forage effectuées par la Turquie dans la ZEE chypriote. Ou encore en mer Noire, que la Russie entend contrôler entièrement.

Autant de contestations de l’ordre établi il y a quarante ans par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite « de Montego Bay », adoptée en 1973 et signée en 1982 en Jamaïque. Partout sur la planète, les États renforcent leur armement naval, dans un mouvement que le chef d’état-major de la Marine nationale, l’amiral Pierre Vandier, qualifie de « sidérant et sans équivalent si ce n’est peut-être dans les années 1930 ».

Un affrontement de haute intensité en mer n’est donc plus à exclure. Il « peut survenir rapidement à la suite de la mauvaise interprétation, même minime, du comportement de l’adversaire », estime le vice-amiral d’escadre (2 s) Gérard Valin, chef de la majeure « Enjeux et stratégies maritimes » à l’IHEDN. « En outre, ce dernier peut l’engager s’il doute de notre détermination ou pense obtenir un avantage. »

LA STRATÉGIE FRANÇAISE DE MAÎTRISE DES FONDS MARINS

La France, qui possède l’une des deux plus grandes ZEE du monde avec les États-Unis (11 696 000 km2), et seule puissance riveraine de tous les océans, surveille ces espaces en surface, car « ce qui n’est pas surveillé est pillé et ce qui est pillé est revendiqué », comme l’explique l’amiral Pierre Vandier. Mais elle s’est aussi dotée début 2022, via son ministère des Armées, d’une « stratégie de maîtrise des fonds marins ».

« Les profondeurs marines s’apparentent à des terres de conquête où s’expriment des stratégies hybrides », expliquait la ministre de l’époque, Florence Parly : « Derrière les projets d’exploitation économique multiformes, étatiques comme privés, tant dans les domaines de l’énergie, de l’extraction des ressources minérales, gazières et fossiles, il y a aussi la volonté de contrôler les nouvelles routes de communication. »

Cette stratégie résumée en quatre points vise d’abord à « garantir la liberté d’action de nos forces » dans la ZEE française et « toute zone d’intérêt opérationnel » : « Pour cela, il sera nécessaire de comprendre les stratégies adverses (de surveillance et d’interdiction sous-marine) pour ajuster au mieux nos efforts et besoins aux menaces qu’elles font peser, dans nos approches maritimes et nos zones de déploiement ».

Deuxième point, « protéger nos infrastructures sous-marines », sachant que parmi les 450 câbles sous-marins de communication actuellement en service, 51 sont reliés au territoire national (27 en métropole et 24 en outre-mer). Il s’agit de les protéger contre toute atteinte, qu’elle soit malveillante, accidentelle ou naturelle.

Le troisième point concerne la protection de nos ressources. Les innovations technologiques permettent aux États, mais aussi à des acteurs privés, de convoiter les ressources des fonds marins, qu’il convient donc « de connaître, d’exploiter durablement, mais surtout de protéger ».

Dernier point, la France entend être « prête à agir et à faire peser une menace crédible » : « La performance accrue des capteurs autonomes de recherche, notamment en termes d’endurance à la mer et de performance de détection, combinée à une capacité d’intervention précise, permet désormais la recherche puis la remontée d’objets anthropiques de toutes tailles depuis les grands fonds marins. Il convient désormais d’être capable d’agir de manière réactive et discrète au regard de ces nouvelles capacités faisant appel à l’intelligence artificielle notamment. »