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CDT Alexandre : « Dans la très haute altitude, on va voir arriver des phénomènes de compétition et de contestation. »

La question de la « très haute altitude » est revenue sur le devant de la scène avec la neutralisation des "ballons chinois" dans l’espace aérien américain en février. Le commandant Alexandre, chef de la division puissance aérospatiale du Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) de l’Armée de l’Air et de l’Espace (AAE) décrypte les enjeux de cette zone, devenue un lieu de confrontation.
CDT Alexandre : « Dans la très haute altitude, on va voir arriver des phénomènes de compétition et de contestation. »

Qu’est-ce que c’est la « très haute altitude » (THA) ?

La très haute altitude est une zone de l’espace qui commence là où les derniers avions ne vont plus et qui termine là où on commence à voir apparaître les premiers satellites.

Plus précisément, la limite basse de la THA se situe entre 15 et 18 km d’altitude. C’est au-dessus de l’espace aérien actuellement règlementé, c’est-à-dire celui dans lequel circulent les avions de ligne.

Pour la partie supérieure, il n’existe pas de limite communément partagée entre les États. On peut la situer entre la ligne de Karman (100 km environ) et la plus basse orbite démontrée à ce jour, soit 160 km. 

La ligne de Karman

C’est la limite physique à partir de laquelle un objet ne peut plus voler selon les lois de l’aérodynamique et ne peut plus être qualifié d’aérien.

De manière plus concrète, la très haute altitude voit déjà une grande variété d’objets différents y stationner ou la traverser : fusées ou véhicules spatiaux, têtes orbitales, balistiques ou planeurs hypersoniques, aérostats ou drones à très longue endurance. Les années à venir seront très certainement marquées par une augmentation significative des opérations dans la THA.

Quels sont les enjeux ?

L’intensification de l’utilisation de la THA par les acteurs publics et privés, militaires comme commerciaux est porteuse d’enjeux, opportunités et vulnérabilités.

Sur le plan juridique, les statuts de l’espace aérien et de l’espace exoatmosphérique sont fondamentalement différents suivant les États, c’est la raison pour laquelle la définition de la limite supérieure de la THA constitue un enjeu important.

Il existe pour l’instant la convention de Chicago de 1944, qui régit le droit aérien et le traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967. Toute la question est de savoir quelle est la ligne de partage : où commence l’espace commun constitué par l’espace exoatmosphérique et où finissent les espaces souverains dans lesquels les États sont légitimes à réguler et contrôler les activités.

D’un point de vue réglementaire, l’organisation des opérations dans la THA est entièrement à définir dans ses aspects pratiques : quelle certification pour les objets y évoluant ? Quel mode de régulation du trafic ? Quelle organisation de l’espace aérien ? Le travail de réflexion associé est d’ores et déjà en cours à différents niveaux (ONU, UE notamment).

Pour les armées, l’exploitation de la très haute altitude offre l’opportunité d’étendre le champ d’application de la puissance aérienne. Des applications très immédiates sont déjà envisageables en matière de renseignement, de guerre électronique, mais aussi de communication.

En conséquence, la complémentarité avec les capacités de communication et d’observation spatiale est déjà prometteuse. Les plateformes persistantes de type ballon (dirigeable ou drone) offrent des capacités très intéressantes sur le critère de la persistance. D’une manière plus générale, la complémentarité entre la THA et l’Espace offrira des opportunités pour consolider ou acquérir un avantage stratégique sur nos compétiteurs.

Mais la THA représente aussi une vulnérabilité pour les armées. Le développement des planeurs hypersoniques qui rebondissent sur les hautes couches atmosphériques et dont la vitesse et la manœuvrabilité remettent en question les capacités de défense et de surveillance contemporaines.

L’émergence et la multiplication de ce type de vecteurs nécessitent en particulier une adaptation de nos capacités militaires de détection. Classiquement, les radars et systèmes de surveillance ont été conçus pour observer des objets jusqu’à 30 km d’altitude maximum, tandis que le radar de surveillance spatiale est capable de détecter à partir de 100 km. Il existe donc un angle mort en termes de capacité de détection pour les tranches 30-100. Il s’agit d’assurer un continuum entre les différents secteurs de détection. 

Que fait l’Armée de l’Air et de l’Espace dans la THA ?

Dès les années 1960, les Mirage IIIE avaient des capacités d’interception dépassant la limite des 66 000 pieds (20 km env.) La nouveauté réside dans le fait que la très haute altitude verra une augmentation importante des dynamiques de compétition et de contestation du fait de la prolifération des moyens destinés à y évoluer et à y persister (ballons stratosphériques, avions et navettes suborbitaux, planeurs hypersoniques, dirigeables manœuvrants). L’AAE (en lien avec les armées de l’air des alliés et partenaires) devra se doter de moyens adaptés à ces nouveaux défis.

L’AAE est responsable de la posture permanente de sûreté aérienne et de sa mission de défense aérienne du territoire national. Ainsi, l’AAE a donc un rôle majeur dans l’animation de la réflexion des armées sur ce sujet. Le chef d’état-major des armées lui a d’ailleurs confié la rédaction pour l’été 2023 d’une stratégie militaire pour la très haute altitude et d’un plan d’action associé.

L’AAE et la Direction générale de l’armement (DGA) travaillent de concert avec les industriels sur des projets capacitaires pour accroître les capacités d’action des armées dans la très haute altitude :

  • Projet V-MAX de planeur hypersonique porté par ArianeGroup ;
  • Projet Stratobus de ballon dirigeable porté par Thales Alenia Space ;
  • Drone stratosphérique Zéphyr porté par Airbus Defense and Space.