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Du Charles-de-Gaulle au futur PANG : les porte-avions « à la française »

Par rapport aux autres pays en possédant, la France développe des porte-avions singuliers, mieux opérables et plus polyvalents. Le futur “porte-avions nouvelle génération” qui remplacera le Charles-de-Gaulle ne fera pas exception.

Depuis le premier porte-hydravions (le Foudre, un croiseur converti en 1910), puis le premier appontage d’un avion sur un navire français (par le capitaine de corvette Paul Teste en 1920), le pays a converti successivement deux bâtiments de guerre en porte-aéronefs : le modeste Bapaume (644 tonnes), aussi en 1920, qui sert uniquement aux entraînements, puis le plus significatif Béarn et ses 25 000 tonnes en 1928.

Par la suite, jusqu’aux années 60, trois bâtiments sont rachetés aux Britanniques puis aux Américains. C’est seulement avec le Clemenceau et son jumeau le Foch, lancés en 1961 et 63, que la France regagne une réelle autonomie en matière de conception de porte-avions.

LE CHARLES-DE-GAULLE, UN CONCENTRÉ TACTIQUE ET STRATÉGIQUE

Le Charles-de-Gaulle (indicatif visuel R91, 42 500 tonnes de déplacement à pleine charge, 261 mètres de long, 64 de large), en service depuis 2001, reprend de ses deux prédécesseurs la configuration CATOBAR (catapultage des avions, appontage par brins d’arrêt) de conception américaine, mais y ajoute une évolution majeure : la propulsion nucléaire.

Avec ses deux réacteurs reliés chacun à une hélice, le R91 offre une endurance importante, un démarrage et des accélérations plus rapides, un important gain d’espace, et surtout une autonomie énergétique de 7 ans ½, contre 3 à 4 jours seulement pour ses confrères carburant aux énergies fossiles. Outre l’ensemble de l’énergie nécessaire à la vie à bord des quelque 2000 membres d’équipage, le nucléaire assure le catapultage des avions (grâce à la vapeur produite par les réacteurs) ou la désalinisation de l’eau de mer. La France est, avec les États-Unis, le seul pays à avoir fait ce choix stratégique de la propulsion nucléaire.

Le choix du système CATOBAR constitue aussi un avantage stratégique, en permettant de lancer des appareils de 25 tonnes à 270 km/h en 2 secondes, avec 4 à 5 g d’accélération, là où d’autres bâtiments imposent des décollages et appontages à la verticale, plus lents. Demandant des manœuvres plus risquées, le diptyque catapultage/appontage par brins d’arrêt est sécurisé par le système SATRAP (Système Automatique de TRAnquillisation et de Pilotage), qui permet au navire amiral français de se comporter comme un bâtiment beaucoup plus lourd et stable, jusqu’à un niveau de mer de force 5 ou 6.

Plus maniable et polyvalent dans ses dimensions navales comme aérienne, le Charles-de-Gaulle constitue l’outil majeur de la projection de puissance française, avec la possibilité de croiser à 20 km de 154 pays. Toujours accompagné de son groupe aéronaval.

UN GROUPE AÉRONAVAL SUBLIMÉ PAR LE RAFALE

Le groupe aéronaval (GAN) dont le Charles-de-Gaulle est le centre comprend actuellement, en configuration standard : le porte-avions et son groupe aérien embarqué (GAé), un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) de classe Rubis, deux frégates de lutte anti-sous-marine de classe Aquitaine (FREMM), une ou deux frégates anti-aériennes Aquitaine, une frégate en patrouille lointaine de classe La Fayette et un pétrolier ravitailleur de classe Durance (puis Jacques-Chevallier dès l’été 2023).

Côté GAé, depuis son arrêt technique majeur de mi-vie en 2017-18, le R91 est optimisé pour accueillir 30 Rafale Marine (et jusqu’à 40), 5 hélicoptères (2 Dauphin Pedro, 2 Caïman et 1 Panther) -, plusieurs drones, et 2 avions Grumman E-2C Hawkeye. Ces appareils de guet aérien constituent l’œil du Charles-de-Gaulle et de son GAN, avec plus de 600 km de portée, soit la possibilité de surveiller la superficie de la France. La marine française est la seule, avec l’américaine, à bénéficier d’une telle portée.

Le GAN du navire amiral français a donc une capacité d’action en trois dimensions (en surface, sous l’eau et en l’air), avec aussi une capacité de dissuasion grâce à la Force aéronavale nucléaire (FANu), l’une des trois composantes de la force de dissuasion nucléaire française.

Armé de missiles nucléaires ou pas, le Rafale F3R Marine constitue un avantage stratégique et une composante majeure de l’efficacité du Charles-de-Gaulle. Outre les capacités “omnirôle” de l’avion, sa facilité de maintenance offre une bien meilleure opérabilité. Ainsi, lors de la mission d’entraînement Bois-Belleau en 2014, le navire français équipé de 20 Rafale mettait en l’air 45 chasseurs par jour pendant que le porte-avions américain Harry S. Truman, équipé de 60 avions, en mettait quotidiennement 60. En soutes, un atelier à bord unique au monde de 8000 m2 permet de réparer avions ou hélicoptères sans les envoyer en maintenance, avec même deux bancs d’essai réacteur. Grâce à ces équipements, la Marine nationale revendiquait, en 2016, un taux de disponibilité record de 94% pour les Rafale et 90% pour les Hawkeye.

“Ce qui caractérise le GAN, c’est tout d’abord sa capacité à contribuer simultanément à plusieurs missions, allant de la maîtrise des espaces aéromaritimes vitaux à la projection de puissance et à la dissuasion”, commentait le contre-amiral Marc Aussedat, alors commandant de la Task Force 473 (le nom du GAN en opération), dans le magazine Cols Bleus de la Marine nationale en décembre 2020. “C’est la combinaison de leurs capteurs multiples et complémentaires et de leurs moyens d’action qui confère au GAN une capacité de frappe dans la profondeur ainsi qu’une excellente connaissance et compréhension de situation, en trois dimensions, de la zone d’intérêt. En fusionnant et analysant l’ensemble des informations récoltées, la France dispose ainsi d’une capacité d’anticipation, d’appréciation autonome de situation, pour intervenir si nécessaire, lui conférant une supériorité opérationnelle certaine.”

LE PANG DEVRA AMÉLIORER LA SUPÉRIORITÉ OPÉRATIONNELLE ACTUELLE

Cette supériorité opérationnelle, cette ergonomie, ce “système hyper fluide”, cette polyvalence du Charles-de-Gaulle, la France entend les améliorer encore avec son futur successeur, connu actuellement sous l’acronyme de PANG (pour “porte-avions nouvelle génération”). Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a annoncé début avril une mise en chantier fin 2025-début 2026, avec des premiers essais en mer pour 2036-37.

D’ici à 2030, on estime que le nombre de porte-avions dans le monde passera de 19 à 27, dont 6 en Chine et 2 en Inde. Quand il entrera en service, le PANG devrait à nouveau être le seul à propulsion nucléaire et système CATOBAR avec les navires américains de classes Nimitz (10 en service en 2023) et Gerald R. Ford (1 en service actuellement, 10 autres prévus).

Le PANG se rapprochera de ces derniers en longueur (305 mètres contre 333), les dépassera en largeur (79,5 m contre 78), et augmentera sensiblement son déplacement, à 75 000 tonnes à pleine charge, ce qui en fera le plus grand bâtiment de guerre jamais construit en Europe. Il comprendra pour sa propulsion deux nouveaux réacteurs (avec deux chaufferies d’une puissance de 220 MW chacune, contre 150 sur le R91) offrant une autonomie de 10 ans. Cette montée en grade devrait aussi permettre une disponibilité opérationnelle renforcée (quelques minutes, à froid, sans contrainte de réchauffage).

Côté GAé, le plus grand gabarit du PANG lui permettra d’embarquer les Hawkeye, un nombre plus important de Rafale Marine, le futur chasseur nouvelle génération (plus imposant que le Rafale), et d’autres éléments du Système de combat aérien du futur (SCAF), notamment différents types de drones. Ses nouvelles catapultes électromagnétiques (ElectroMagnetic Aircraft Launching System ou EMALS), toujours de conception américaine, remplaceront le système du R91 à propulsion vapeur, ce qui permettra de lancer des aéronefs de masses très différentes tout en réalisant des économies d’énergie.

Le PANG devrait ainsi être en pointe dans les futurs modes de combat, mêlant drones, effecteurs déportés (mi-drones mi-missiles), intelligence artificielle, traitement des données de masse et surtout interconnectivité accrue entre navires, satellites, différents types d’avions, et le pilote en pleine mission de combat.