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Série « Cœurs noirs » : « Montrer l’état d’esprit des forces spéciales »

La série diffusée sur France 2 constitue une première en France en se plongeant dans le quotidien de ce type d’unités. Consultant pour la production, l’ancien sous-officier des forces spéciales Rédouane Louaazizi revient sur sa propre expérience militaire et le souci de réalisme des créateurs.
Coeurs noirs, l'état d'esprit des forces spéciales

La partie « remerciements » du générique de « Cœurs noirs » donne le ton : état-major des armées, Commandement des opérations spéciales, 13e Régiment de dragons parachutistes… Si l’armée française n’a en rien financé ou contrôlé la production de cette série réalisée par le Libanais Ziad Doueiri (« L’Insulte », « Baron noir »), elle a accompagné (via la Mission cinéma et industries créatives – MCIC – du ministère des Armées) ses créateurs quand ils ont sollicité son expertise, soucieux d’un rendu à l’écran le plus réaliste possible.

Diffusée il y a un an sur la plateforme Amazon Prime, « Cœurs noirs » vient d’arriver sur France 2, rassemblant dans les deux cas d’excellentes audiences. La critique, elle, souligne la qualité de la réalisation et le côté « grand public » d’une série abordant un sujet jamais exploré en France jusqu’ici, les forces spéciales étant connues pour leur discrétion. Les puristes tiqueront sur certains détails : on ne peut appeler une femme officier « « mon » commandant » (le « mon » dans les adresses de grades étant une ellipse de « monsieur ») ; un adjudant n’outrepassera jamais un ordre de son colonel, etc.

Mais pour le grand public, l’effet d’immersion est bien là : il se trouve plongé dans le quotidien d’une unité traquant des terroristes francophones en Irak, au moment de l’offensive de Mossoul, fin 2016. Ancien sergent-chef dans les forces spéciales, Rédouane Louaazizi remplissait des missions comparables à celle du personnage joué par Nicolas Duvauchelle dans la série. Devenu consultant sur le tournage, il démêle ici la réalité et la fiction.

QUEL EST VOTRE PARCOURS DANS LES FORCES SPÉCIALES ? QUELLE A ÉTÉ VOTRE CONTRIBUTION À CETTE SÉRIE ?

J’ai servi dans l’armée de 1998 à 2019, dont seize ans dans les forces spéciales, au 13e Régiment de dragons parachutistes, au sein de l’escadron « montagne et grand froid ». Ça a commencé en 2003 par une première formation de 14 mois. Au début nous étions 45, à la fin, plus que 5, les autres candidats étant reversés dans des régiments de la « conventionnelle ». On nous impose énormément d’exercices pour tester notre rusticité, notre condition physique, notre confiance et la qualité de notre restitution. Car après 2 ou 3 jours sans dormir avec 60 ou 70 kilos sur le dos, quelles que soient les conditions météo, vous devez être capable de tout restituer sans aucune faute de procédure.

La première journée est consacrée à la préparation intellectuelle et physique : on étudie l’infiltration, le terrain, la procédure. Puis on arrive au « cul de l’avion », comme on dit dans notre jargon ; et en début de soirée, on est largué en « zone ennemie » pour 5 ou 6 jours, dans des conditions météo pas toujours très clémentes. Ce sont nos premières 24 ou 36 heures sans dormir. Outre les objectifs de la mission, vous devez être attentif à votre habillement, votre matériel informatique ou de transmission, et votre alimentation. On ne se lave pas, on est par terre dans une flaque d’eau, dans la neige… on apprend à faire abstraction de tout ça.

« LA PLUS GRANDE QUALITÉ D’UN SOLDAT DES FORCES SPÉCIALES : L’ADAPTATION »

La plus grande qualité d’un soldat des forces spéciales, c’est de s‘adapter. L’état d’esprit de ces forces est basé sur la confiance : confiance en soi, en ses coéquipiers, et en sa hiérarchie. Au total, j’ai effectué une quinzaine de missions à l’étranger, en recherche aéroportée et renseignement d’origine humaine notamment. Pour ma dernière mission, en 2017, j’étais adjudant d’unité, en charge de la préparation des missions de mes collègues : logistique, planning, sécurité…

Peu avant de quitter l’armée en novembre 2019, j’ai été contacté par Gilles de Verdière, le producteur de « Cœurs noirs ». J’ai commencé à travailler comme conseiller technique à la réalisation, à l’écriture et à la mise en scène. J’ai relu tout le scénario et suggéré quelques modifications pour ne pas porter atteinte à l’institution militaire et aux forces spéciales. La volonté du producteur était d’être le plus crédible possible, de montrer l’état d’esprit des forces spéciales. J’ai donc partagé mon expérience concernant la vie de groupe, la préparation des missions, le relationnel. Les ingrédients de cet état d’esprit, en somme.

De bout en bout, j’ai été présent pendant une quarantaine de jours sur un total de quatre mois de tournage. Je les ai aidés à chorégraphier les scènes d’action, j’ai corrigé des erreurs vestimentaires ou de langage.

VOUS SERVIEZ EN IRAK EN 2016, MOMENT ET LIEU DE L’ACTION DE CETTE SÉRIE, C’EST BIEN ÇA ? AVEZ-VOUS RETROUVÉ À L’IMAGE LES CONDITIONS DE VOS MISSIONS LÀ-BAS ?

Je ne peux évidemment pas vous parler des dates et lieux d’opération où j’ai été envoyé, ni de ce que j’y ai fait. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’en janvier 2017, le président de la République de l’époque a officiellement déclaré que les forces spéciales françaises étaient présentes sur le théâtre syro-irakien. On sait aussi que fin octobre 2016, l’armée irakienne a lancé une offensive sur Mossoul, place forte de Daech, qui a duré jusqu’à fin novembre-début décembre.

Les scénaristes de la série se sont beaucoup documentés sur l’Irak, sur la partie géopolitique de ce conflit. Pour cela, ils ont simplement fait de l’OSINT, du renseignement en sources ouvertes. Pour la manière de travailler des forces spéciales, l’équipe de la série, dont les acteurs, a pu bénéficier de l’expertise de militaires du Commando parachutiste de l’air n°10 d’Orléans, du 1er Régiment parachutiste d’infanterie de marine de Bayonne, et du 13e Régiment de dragons parachutistes de Martignas. Cela les a aidés à faire cette première saison, qui raconte une opération de six semaines environ.

Quant à vous dire si les forces spéciales françaises ont vraiment capturé des djihadistes français, comme le montre la série… Que ce soit au Moyen-Orient, en Afghanistan, au Sahel ou ailleurs, le travail des forces spéciales s’effectue au niveau politique et stratégique. Par conséquent, le contre-terrorisme fait partie de leurs missions. À l’époque de l’action de la série, on sait qu’il y a des francophones sur place, et le scénario fait d’ailleurs des références aux attentats du Bataclan et du marché de Noël de Strasbourg préparés là-bas. Pour le reste, la presse a abondamment documenté comment les alliés ont neutralisé des djihadistes francophones pendant ce conflit.

VOUS TRAVAILLEZ DÉSORMAIS SUR LE TOURNAGE DE LA SAISON 2 QUI DÉMARRE BIENTÔT. L’ÉQUIPE SE PRÉPARE CETTE FOIS AVEC LES COMMANDOS DE MARINE. QUELS AUTRES ASPECTS DES MISSIONS DES FORCES SPÉCIALES VONT-ILS ÊTRE ABORDÉS ?

Oui, le tournage commence en avril au Maroc. Toute l’équipe (comédiens, production, réalisation) va d’abord effectuer une semaine d’immersion au sein des commandos de marine à Lanester, près de Lorient, reçue par le contre-amiral Pierre de Briançon, commandant de la Force maritime des fusiliers marins et commandos (FORFUSCO). Cela va remettre dans le bain tous les comédiens pour cette nouvelle saison, qui va montrer un autre aspect de l’état d’esprit des forces spéciales, car l’ADN des commandos de marine est différent. Ils vont pouvoir s’imprégner d’une autre culture, en absorber le langage et la gestuelle, en binôme avec des militaires de ces forces.

Leur spécialité est bien sûr la mer, comme on l’a vu avec le Commando Hubert lors de l’affaire du Ponant, ce voilier pris par des pirates somaliens dans le golfe d’Aden, en 2008. Mais les commandos de marine sont polyvalents, comme toutes les unités des forces spéciales : ils maîtrisent aussi l’aérien, le renseignement, et tous les terrains d’opération. J’ai moi-même travaillé en pleine terre avec eux.

Le « groupe 45 » de la série n’appartiendrait dans la réalité à aucune entité des forces spéciales : il représente en fait toutes les compétences qu’on peut retrouver, au sens large, au sein du Commandement des opérations spéciales. Cette série s’adresse au grand public, il ne faut donc pas la regarder avec un œil d’expert militaire. C’est la première fois en France qu’on a une série sur les militaires, dédiée aux forces spéciales, et il faut souligner cela. Quand elle a été diffusée sur Amazon, elle a dépassé en audience de gros succès de cette plateforme, comme The Last of Us.

Pour cette saison 2, la production espère que le partenariat avec le ministère des Armées sera encore plus ancré, afin d’avoir des moyens aériens par exemple. Car des forces spéciales sans vecteur aérien, comme dans la saison 1, ce n’est pas très réaliste.