Rechercher
Fermer cette boîte de recherche.

Résistance : l’armée des ombres prend la lumière

Premier épisode de notre série « Esprit 44 » en partenariat avec la Fondation Charles-de-Gaulle. Explorons la Résistance, à travers deux figures méconnues, Jacques Bingen et Élisabeth de Miribel, ainsi qu’un épisode épique et tragique : le maquis du Vercors.
visuel de "Résistance : l'armée des ombres prend la lumière"

DE 1944 À 2024, L’ESPRIT DE DÉFENSE EN PARTAGE

En explorant ces personnages et épisodes de la Résistance, on comprend mieux comment ces hommes et femmes ont cherché à renforcer la cohésion nationale française, mise à mal par l’invasion allemande et la collaboration d’une partie du pays avec l’ennemi. Pour ce faire, ils ont contribué à la réflexion stratégique menée par le chef de la France libre, le général de Gaulle. Huit décennies plus tard, leurs courageux exploits participent de la culture de défense, que l’IHEDN a pour mission de promouvoir.

JACQUES BINGEN, UN HÉROS OUBLIÉ DE LA LIBÉRATION

Jacques Bingen

Si les débarquements et les combats de l’été 1944 ont été soutenus par l’œuvre silencieuse des « soutiers de la gloire » (Pierre Brossolette) de « l’armée des ombres » (Joseph Kessel), Jacques Bingen est sans doute l’un de ceux pour qui la postérité a été la moins généreuse. Mort à 34 ans, le 12 mai 1944, il n’a pas vécu la « grande, sanglante et merveilleuse aventure » pour laquelle il avait tant œuvré, et ne pourra prendre part à la reconstruction du pays, à laquelle il travaillait ardemment au moment de sa mort. Pourtant, parmi les martyrs de la Résistance, son aura est éclipsée par celle de Pierre Brossolette ou de Jean Moulin, dont il fut l’ami et l’un des hommes de confiance, pendant les quelques mois au cours desquels les deux hommes se côtoyèrent.   

De l’industrie de l’armement jusqu’à Londres

Issu d’une famille juive d’origine italienne, Jacques Bingen naît en 1908. Diplômé des Mines et de l’Ecole Libre des Sciences Politiques, il s’oriente dès les années 1930 vers une carrière dans le monde des affaires : beau-frère du constructeur automobile André Citroën, avec qui il collabore, il est également une figure importante de l’industrie de l’armement. Mobilisé et blessé à Saint-Valéry-en-Caux, au plus fort de la débâcle, en juin 1940, il gagne Gibraltar où, avec son ami Claude Bouchinet-Serreulles, le choix s’impose : Londres plutôt que New-York, car « nous ne dormirons pas tranquilles aussi bien que nous saurons notre patrie sous la botte ennemie ». Les administrateurs n’étant pas légion parmi les premiers Français libres, l’apport de Bingen est précieux. Présenté au général de Gaulle le 23 juillet, il prend la tête de la marine marchande de la France libre dès septembre 1940, déployant dans ce domaine les accords De Gaulle/Churchill. 

Aux origines du CNR, aux côtés de Jean Moulin

Pourtant, dès juin 1942, Bingen souhaite « servir dangereusement », et intègre la section « non militaire » du BCRA, le service de renseignement gaulliste. Sa tâche est de recevoir et d’orienter la masse d’informations provenant de métropole : c’est dans ce contexte qu’il prend contact avec Jean Moulin, et commence à réfléchir à un moyen d’unifier les différentes composantes de la Résistance. Les deux hommes convergent à partir de début 1943 pour imaginer un comité directeur de la Résistance, qui deviendra le Conseil national de la Résistance (CNR) le 27 mai 1943. Le travail de Bingen ne s’arrêtera pas là : impliqué dans la rédaction du programme du CNR, il laissera deviner sa vision d’une France à reconstruire pour l’après-guerre, solidaire et menée par un État efficace. 

« Ma vision heureuse de cette paradisiaque période d’enfer »

Parachuté en métropole le 16 août 1943, après l’arrestation de Moulin, Bingen accomplit une tâche herculéenne : délégué pour la zone sud, puis délégué général pour la Résistance dans les premiers mois de 1944, il parvient à doter la Résistance d’organismes essentiels (dont le comité financier et le comité des actions immédiates, essentiel dans la coordination des sabotages qui rendra le débarquement possible) et favorise le regroupement des composantes armées dans les Forces françaises de l’intérieur (FFI) en février 1944. Dans ces mois au cours desquels il écrira avoir éprouvé « un bonheur inouï, un sentiment de plénitude et d’accomplissement » en dépit du risque quotidien, il côtoie les futurs acteurs de la reconstruction, Michel Debré, Jacques Chaban-Delmas ou Gaston Deferre, qui tous témoigneront du caractère douloureux de sa mort précoce, « contraire à son destin ». 

Fait compagnon de la Libération le 31 mars (De Gaulle insiste sur « tous les prolongements que contiennent le mot et la chose »), Bingen est trahi et pris près de Clermont Ferrand le 12 mai. Pour « ne courir aucun risque », il avale une pilule de cyanure.  Dans une de ses ultimes lettres, alors qu’il pressentait sa fin proche, il assumait ce choix par avance (« Aucune souffrance ne pourra jamais prévaloir contre la joie que je viens de connaître si longtemps »), avant de rendre hommage à ses compagnons de lutte, « qui ont grandement contribué à ma vision heureuse de cette paradisiaque période d’enfer ». 

ÉLISABETH DE MIRIBEL, LE GÉNÉRAL LECLERC ET LA LIBÉRATION DE PARIS

Élisabeth De Miribel
Thérèse Bonney, © The Regents of the University of California, The Bancroft Library, University of California, Berkeley.

Élisabeth de Miribel est de ces Françaises dont la guerre a transfiguré l’existence. Engagée à Londres à la mission économique de l’ambassade au début du conflit, elle refuse de rentrer en France à l’annonce de l’armistice, le 17 juin. Ce même jour, elle est contactée par un ami d’enfance, Geoffroy de Courcel, ordonnance du général de Gaulle. Rejoignant les deux hommes dans le petit appartement de Saint-Stephen’s House, il lui reviendra la tâche historique de taper sur sa machine à écrire anglaise les feuillets sur lesquels se dessine l’appel du 18 juin, avec l’« obscur pressentiment de participer à un évènement exceptionnel ». Le destin d’Élisabeth de Miribel est tracé : elle sera la secrétaire particulière du général, avant d’être envoyée en 1942 au Québec pour y rallier les Canadiens à la France libre. 

Une femme en mission, du Canada à Alger

Élisabeth de Miribel conserve un lien direct et personnel avec le général, qui lui confie combien il apprécie ses « nobles et utiles efforts », en ces temps où il faut « porter la montagne sur son dos ». Ayant « hâte de se rapprocher des lieux de l’action », alors que « l’aube commence à blanchir sur la France », elle gagne Alger en septembre 1943, puis le front d’Italie où, comme correspondante de guerre, elle couvre les terribles combats du Monte Cassino. 

Le défi du général Leclerc

Croisant le général Leclerc, elle le sollicite pour suivre sa division, la 2e DB. « Je ne tiens pas à m’encombrer de journalistes, encore moins de femmes », lui répond-il. « Mais nous allons faire un pari : si vous réussissez à me rejoindre en France, je vous garde. » Pour tenir ce pari, Élisabeth de Miribel déploie mille astuces, et sollicite une intervention du général de Gaulle. L’audace paie : le 30 juillet, elle s’envole pour Londres, puis gagne la France avec Maurice Schuman. Dans ce pays « retrouvé », où avions abattus et cratères d’obus côtoient des paysans rentrant de moissons, elle retrouve Leclerc dans les jardins de la préfecture d’Alençon. « Pari gagné », concède le général. Ne disposant pas de l’agrément américain pour leur publication, les écrits d’Élisabeth de Miribel ne connaîtront pas la diffusion mondiale de ceux de ses confrères. Pourtant, aucune correspondante de presse ne suivra de si près la Libération de Paris. 

Un regard sur la Libération de Paris

Du 16 au 25 août, Élisabeth de Miribel suit « sans désemparer » la 2e DB sur le chemin vers Paris, « mélange de guerre et de 14-Juillet ». Allégresse et drame se côtoient : à l’entrée d’Antony, une jeune fille reconnaît son frère debout sur un tank. Elle se précipite pour l’embrasser : un coup de feu allemand tiré d’une fenêtre la tue. Deux jeunes soldats sont abattus par des embusqués à cent mètres de l’endroit où la foule les portait en triomphe quelques minutes plus tôt. Ce n’est que deux jours plus tard qu’Élisabeth de Miribel rendra compte des « larmes qui roulent sur les joues des vieux guerriers du Tchad et de la population enfiévrée qui les a tant attendus ». « C’est la rencontre inoubliable entre la France et ses soldats », conclut-elle, « le teint bruni des soldats contraste avec le visage émacié des résistants, mais un même feu anime leurs regards ». Pourtant, rien n’est fini : bien des combattants ayant connu ces moments d’histoire perdront la vie quelques jours ou quelques semaines plus tard, lors des combats dans l’Est de la France. 

LE DRAME DU MAQUIS DU VERCORS

Derrière le terme de « maquis », plusieurs réalités d’une résistance civile et militaire se sont succédées tout au long de la guerre. Alors qu’en 1940, les zones les moins facilement accessibles du territoire (montagneuses, rurales) ont pu servir de lieu de repli, notamment pour les minorités persécutées, la mise en place du Service du travail obligatoire (STO) change la donne. Comme le fait remarquer l’historien Fabrice Grenard, l’afflux de réfractaires à compter du printemps 1943 conduit les chefs de la Résistance à réfléchir à la possibilité d’en faire des combattants armés. Après des débats complexes, c’est à l’été 1943 qu’une structure se met en place et que moyens et armements commencent à irriguer les maquis. 

Le Vercors, une forteresse française

Sans doute l’un des territoires les plus impénétrables de France métropolitaine, le Vercors sert de lieu de repli dès l’été 1940, essentiellement pour des populations juives fuyant Paris et des établissements scolaires qui investissent les infrastructures touristiques. Une organisation militaire se dessine dès le printemps 1942, autour de groupes francs-tireurs et de milieux politiques proches de la SFIO clandestine. La structure d’accueil préexiste donc quand de nombreux jeunes réfractaires au départ en Allemagne dans le cadre du STO. Dès le début 1943, la mise en place de camps épars et le projet « Montagnards » de militarisation du plateau, avec notamment des pistes d’atterrissage, fait du Vercors un espace structuré, qui rompt avec la tactique plus souple et réticulaire d’autres maquis. 

Le rôle des maquis dans le débarquement

Le lien étant établi avec Londres, dans le cadre de l’Armée secrète, les maquis incarnent localement une légitimité politique alternative à celle de Vichy. Les heurts avec les troupes allemandes et surtout avec la Milice débutent dès janvier 1944. Mais se pose la question de leur rôle militaire dans le débarquement : il s’agit de multiplier les lieux de soulèvement, pour distraire les forces allemandes et empêcher leur concentration en Normandie. Par ailleurs, ce rôle donne du poids militaire, et donc politique, à la France libre face aux Alliés. Le 5 juin, le message est lancé par Radio Londres : « Le Chamois des Alpes bondit. » Les maquisards, rejoints par de nombreux volontaires, investissent le plateau et le libèrent, installant une administration dans la « République provisoire du Vercors », qui bénéficie d’un large soutien de la population. 

Une issue tragique, mais utile au succès final

Cependant, les armes manquent, et les parachutages alliés restent insuffisants, alors que se prépare le débarquement de Provence. L’offensive allemande, la plus massive lancée contre la Résistance, intervient à compter de la mi-juillet : bombardements, offensives de parachutistes et de chasseurs alpins, en deux jours de combats marqués par des atrocités touchant notamment les populations civiles, le maquis doit se disperser. Les combats font près de 1000 victimes, maquisards mais aussi civils. Si la stratégie du « point d’ancrage » précoce a été discutée, la France libre n’ayant pas de moyens aériens propres pour soutenir le Vercors, le général de Gaulle fait compagnon de la Libération la commune incarnant le cœur du maquis, Vassieux-en-Vercors, le 4 août 1945, reconnaissant le prix de son sacrifice et la part que des combattants français ont prise dans la libération du territoire.