Le maréchal Foch, apôtre de « l’unité de l’effort »

Après cet exceptionnel défilé du 14-Juillet sur l’avenue parisienne qui porte son nom, retour sur la figure du généralissime de la Grande Guerre, qui a su fédérer les armées de huit pays jusqu’à la victoire de 1918.

LE DÉFILÉ DU 14-JUILLET AVENUE FOCH, UNE GRANDE PREMIÈRE

Organisée depuis 1880, la parade militaire de la fête nationale s’est déroulée sur différents sites : initialement à l’hippodrome de Longchamp, plus tard à celui de Vincennes, à l’École militaire, entre les Invalides et la Concorde, et même entre République et Bastille en 1979.

Le premier défilé sur les Champs-Élysées s’est tenu en 1919, les trois maréchaux de France de la guerre terminée huit mois auparavant (Joffre, Foch et Pétain) paradant à cheval. Depuis 1981, le défilé n’a plus bougé de la « plus belle avenue du monde », sauf en 2024 donc, en raison des Jeux olympiques.

Le choix de l’avenue Foch s’explique aisément : partant elle aussi de la place Charles-de-Gaulle où trône l’Arc de Triomphe, symbole militaire par excellence, c’est l’artère la plus large de Paris, avec 120 mètres. Incidemment, ce choix remet en lumière la figure d’un important chef de guerre, le maréchal de France, du Royaume-Uni et de Pologne Ferdinand Foch (1851-1929).

© Ministère des armées

UN BRILLANT STRATÈGE ET OFFICIER D’ÉTAT-MAJOR

Né à Tarbes (Hautes-Pyrénées), Foch est le fils d’un percepteur prénommé Napoléon et d’une mère fille d’un soldat de la Révolution et de l’Empire. Pendant la guerre franco-prussienne de 1870, il s’engage au 4e Régiment d’infanterie, mais ne combat pas. L’année suivante, il intègre l’École polytechnique puis choisit l’École d’application de l’artillerie à sa sortie, en 1873.

De 1885 à 1887, le capitaine Foch est élève à l’École supérieure de guerre, d’où il sort avec cette appréciation : « A de la valeur – actif de corps et d’esprit – intelligence vive – esprit militaire. Très bon, c’est une personnalité. » Il servira à plusieurs reprises à l’École de guerre pendant sa carrière, en alternance avec des postes en état-major ou en régiments : en 1895, chef d’escadron, il y est professeur adjoint et enseigne l’histoire militaire, la stratégie et la tactique générale, avant de prendre la direction de ce cours l’année suivante, jusqu’en 1901.

Dans ses « Principes de la guerre », publiés en 1903 pour résumer son enseignement, il en liste quatre : « Principe de l’économie des forces – Principe de la liberté d’action – Principe de la libre disposition des forces – Principe de la sûreté, etc. » Ce « etc. » montrant la nécessité de s’adapter aux circonstances.

Général de brigade en 1907, il dirige l’École de guerre de 1908 à 1911. « Cette période brille dans l’histoire de l’École d’un éclat exceptionnel », écrit Maxime Weygand (major général des armées alliées sous ses ordres en 1918 et plus tard généralissime en 1940) dans un article de 1958 où il détaille les différents passages de Foch dans cette institution.

Weygand résume ainsi sa manière d’être : « Le général Foch ne s’arrête jamais à réfuter des opinions ou des appréciations contraires aux siennes, quelles qu’en soient l’injustice ou la virulence. Ce serait du temps perdu. Il leur oppose seulement, dans la sérénité de sa conscience, les raisons de confiance d’un chef qui a conquis sa maîtrise et sait où il veut aller. Nous y insistons, ayant pu constater, au cours de la guerre, que ce mode de discussion, qui lui était naturel, possédait une force convaincante et efficace. » Elle lui sera utile en 1918.

DIFFICILES PREMIÈRES ANNÉES DE GUERRE

Quand la Première Guerre mondiale éclate, le 28 juillet 1914, Foch est général de corps d’armée, à la tête du 20e corps d’armée basé à Nancy. Les premières années du conflit ne sont pas plus faciles pour lui que pour le reste de l’armée française. Les 19 et 20 août, la bataille de Morhange, où il sert sous le commandement du général Édouard de Castelnau, chef de la 2e armée, est une cinglante défaite française.

Après-guerre, une controverse se fera jour : Foch a-t-il désobéi à Castelnau, précipitant la défaite ? Le maréchal affirmera n’avoir pas reçu à temps l’ordre de retrait de son supérieur. Ce dernier, qui gardera officiellement le silence, jugera absurde qu’un ordre ait pu être égaré… Aujourd’hui, la plupart des historiens considèrent que Foch a désobéi.

Fin août, il est promu à la tête de la 9e armée, puis permet de stopper l’offensive de l’armée allemande autour de la Marne, ce qui lui vaut d’être nommé adjoint du général Joseph Joffre, commandant la zone nord. Mais en décembre 1916, après les meurtrières batailles de l’Artois puis de la Somme, Foch est relevé de son commandement du groupe d’armées du Nord : le gouvernement juge son goût pour « l’offensive à outrance » responsable de lourdes pertes pour de maigres gains stratégiques.

En mai 1917, il est chef d’état-major général, sous le commandant en chef des armées françaises, le général Philippe Pétain. À la fin de l’année, on l’envoie sur le front italien rétablir la situation, après la désastreuse défaite alliée de Caporetto. Des unités françaises et britanniques se joignent aux armées italiennes, ce qui renforce leur cohésion face à l’ennemi germano-autrichien.

L’INSTRUMENT DE L’UNITÉ DES ALLIÉS

Le 26 mars 1918, Ferdinand Foch est chargé de coordonner les armées française, britannique et belge sur le front occidental, au détriment de Pétain. Après le conflit, le président du Conseil et ministre de la Guerre, Georges Clemenceau, revenu au pouvoir fin 1917, justifiera ainsi ce choix : « Je me suis dit : essayons Foch ! Au moins, nous mourrons le fusil à la main ! J’ai laissé cet homme sensé, plein de raison qu’était Pétain ; j’ai adopté ce fou qu’était Foch. C’est le fou qui nous a tirés de là ! » Foch le fougueux remplace Pétain l’ombrageux.

Le 14 avril 1918, il est nommé généralissime des armées alliées en France puis, le 2 mai, placé par les gouvernements alliés à la tête de tout le front occidental, de la mer du Nord à l’Adriatique : il est ainsi chef des armées française, américaine, italienne, belge, britannique, canadienne, australienne et néo-zélandaise. Mais Pétain rechigne toujours à appliquer ses directives ; le 22 juin, le gouvernement le contraint à obéir à Foch.

La suite n’est qu’une succession d’échecs pour les puissances ennemies. Le 7 août, Foch est élevé à la dignité de maréchal de France, seul à l’avoir été alors qu’il était en position de commandement. Enfin, le 11 novembre, il préside la délégation alliée qui reçoit la capitulation allemande, à Rethondes. Six jours plus tard, une loi lui rend nommément hommage, ainsi qu’à Clemenceau (surnommé « le Père la Victoire »).

Plaque à la mairie du 7e arrondissement de Paris.

À ses côtés durant toute une partie de la guerre, le général Weygand louera son « implacable résolution » : « Face à l’ennemi, le penseur se révélait un homme d’action hors de pair, mettant en œuvre avec une « implacable » résolution les principes et les vertus militaires dont il avait fait la base de son enseignement. Par l’acte, le maître incarnait l’idéal du chef, défini jadis à ses disciples : « Quand vient l’heure des décisions à prendre, des sacrifices à consommer, où trouver les ouvriers de ces entreprises périlleuses, si ce n’est dans les natures supérieures, avides de responsabilités, profondément imprégnées de la volonté de vaincre. » Porté au commandement des armées alliées après un grave échec, menant de bout en bout une lutte acharnée de huit mois, il les conduisit à la victoire. »

En pleine Seconde Guerre mondiale, Charles de Gaulle tiendra à envoyer aux Américains un message à l’occasion du 14e anniversaire de la mort de Foch (disparu le 20 mars 1929). Rendant hommage à « celui qui eut l’insigne honneur d’être désigné par les gouvernements du parti de la liberté comme commandant en chef de leurs armées », le chef de la France libre souligne : « La grande mémoire du maréchal Foch nous rappelle aujourd’hui, au cœur même de cette guerre, une condition élémentaire du succès. Cette condition, c’est l’unité de l’effort. »