Les Jeux olympiques, miroir de la géopolitique

Depuis les origines, les Jeux olympiques reflètent les soubresauts de leur époque : inventés dans l’Antiquité comme trêves entre cités grecques belliqueuses, ils sont aujourd’hui parfois utilisés pour dénoncer les politiques d’autres États, voire les lois internes des propres nations des athlètes.

GRÈCE ANTIQUE : UN MARATHON POUR ANNONCER UNE VICTOIRE

En septembre 490 avant J.-C., une bataille oppose les soldats de deux cités grecques, Athènes et Platée, à ceux de l’Empire perse de Darius le Grand, qui entend les soumettre. Elle a lieu sur une plage nommée Marathon, non loin d’Athènes. Moins nombreux, mais mieux équipés, les Grecs triomphent des Perses… qui s’empressent ensuite de reprendre la mer pour attaquer un port d’Athènes, dénuée de ses défenseurs.

À peine la bataille remportée, les Grecs doivent donc rejoindre leur cité à toute vitesse. À marche forcée, ils y parviennent juste avant l’arrivée de leurs ennemis, qui renoncent à débarquer. Deux autres courses légendaires accompagnent cette bataille de Marathon : un certain Euclès aurait parcouru la quarantaine de kilomètres séparant la plage et Athènes pour annoncer la victoire, avant de mourir d’épuisement. L’autre est celle de Philippidès, qui aurait couru 240 kilomètres depuis Athènes pour demander à Sparte des renforts après le débarquement perse à Marathon.

En 1982, des officiers de la Royal Air Force britannique ont voulu vérifier si Philippidès avait pu atteindre Sparte « le lendemain », comme l’affirme l’historien grec Hérodote. C’est possible : depuis 1984, le record de cette course d’ultrafond, désormais annuelle et baptisée Sparthatlon, est de 20 heures et 25 minutes.

Si elle a donné son nom à une épreuve reine des JO, la bataille de Marathon n’est pas liée aux Jeux olympiques antiques. Tous les 4 ans entre le VIIIe siècle avant J.-C. et le IVe siècle après J.-C., ils opposaient, à l’occasion d’une trêve, des athlètes des différentes cités grecques, par ailleurs très enclines à s’affronter par les armes.

Selon Homère, le héros Achille aurait organisé les premiers pour commémorer la mort d’un autre héros légendaire, Patrocle. Plus historiquement, ils auraient été créés par le souverain de l’Élide, Iphitos, dans un centre religieux de son royaume, Olympie. À cette occasion, pendant la trêve d’une durée d’un à quatre mois, une cour olympique était chargée d’arbitrer les conflits entre les cités, en marge des épreuves sportives.

PIERRE DE COUBERTIN, LE SPORT PLUTÔT QUE SAINT-CYR

Après d’autres tentatives au cours du XIXe siècle, c’est un Français qui réussira à « restaurer » les Jeux olympiques : le baron Pierre de Coubertin (1863-1937). Admissible à Saint-Cyr, il choisit finalement Sciences-Po et devient historien et pédagogue, se consacrant à la promotion du sport et du scoutisme.

Surmontant les nombreuses rivalités entre États européens, Coubertin crée en 1894 à Paris le Comité international olympique (CIO). « Les guerres éclatent parce que les nations se comprennent mal », déclare-t-il lors du congrès fondateur, à la Sorbonne. « Nous n’aurons pas la paix tant que les préjugés qui séparent aujourd’hui les différentes races n’auront pas disparu. Pour y parvenir, quoi de mieux que de réunir périodiquement les jeunes de tous les pays pour des épreuves amicales de force musculaire et d’agilité ? »

En 1896, les premiers JO d’été de l’ère moderne se tiennent à Athènes, réunissant 241 sportifs issus de 14 pays. C’est à cette occasion que Michel Bréal, un ami de Coubertin, a l’idée de rendre hommage à la marche forcée des Grecs anciens en inventant la « course de Marathon ». Un Grec moderne de 23 ans, Spyrídon Loúis, en est le premier champion olympique.

Évidemment très sportif (rugby, aviron, boxe, escrime, équitation, multiple champion de France de tir au pistolet), Pierre de Coubertin voit aussi dans l’olympisme un bon moyen de préparer la guerre. Au moment des 5es JO d’été, à Stockholm en 1912, il déclare : « Les sports ont fait fleurir toutes les qualités qui servent à la guerre. Insouciance, belle humeur, accoutumance à l’imprévu, notion exacte de l’effort à faire sans dépenser des forces inutiles. Le jeune sportsman se sent évidemment mieux préparé à partir que ne le furent ses aînés et, quand on se sent préparé à quelque chose, on le fait plus volontiers. »

« Discipline sportive ou entraînement militaire ? », s’interroge Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et géopolitologue du sport, dans son livre « JO politiques : sport et relations internationales » (Eyrolles éditions, 2016), en mentionnant cette anecdote : « Le baron citait l’image d’un agent de liaison qui, perdant son cheval en territoire ennemi, devait se défendre avec son épée et son pistolet, traverser un cours d’eau à la nage et courir se réfugier dans son propre camp. »

1936 : LA GIFLE DE JESSE OWENS À LA PROPAGANDE D’HITLER

Après la Première Guerre mondiale, les JO deviennent de plus en plus un reflet de la géopolitique, en même temps qu’une vitrine pour les nationalismes de l’époque. Annulés en 1916, ils se tiennent en 1920 à Anvers, en hommage à la neutralité de la Belgique que l’Allemagne avait bafouée pendant le conflit. Les pays vaincus (en plus de cette dernière, l’Autriche, la Bulgarie, la Hongrie et la Turquie) ne sont pas invités, et la Russie, fraîchement bolchévique, n’y participe pas.

En 1931, les Jeux de 1936 sont attribués à Berlin ; entre-temps, en 1933, Adolf Hitler a pris le pouvoir en Allemagne. Le dictateur nazi y voit une belle occasion de promouvoir ses idées, notamment la soi-disant suprématie de la « race aryenne » sur les autres (les lois antisémites de Nuremberg sont en vigueur depuis 1935). Il charge la réalisatrice Leni Riefenstahl de tourner un documentaire, « Olympia » (plus connu en France sous le nom de sa première partie, « Les Dieux du stade »), avec une équipe de 300 personnes, dont 34 cadreurs.

Contre toute attente, Riefenstahl y montre aussi bien les défaites d’athlètes allemands (qui sont par exemple écrasés 8 à 1 par l’Inde au hockey sur gazon) que les exploits de sportifs « non aryens ». Parmi ces derniers, un Américain noir, Jesse Owens, a marqué l’Histoire. Meilleur sprinteur de l’entre-deux-guerres, il remporte quatre médailles d’or sous les yeux d’Hitler (100 mètres, 200 mètres, relais 4 X 100 mètres et saut en longueur).

Hitler ne lui serrera pas la main, pas plus qu’à Cornelius Johnson, un autre afro-américain champion olympique du saut en hauteur. Retors, le chancelier du IIIe Reich avait décidé de ne féliciter que les athlètes allemands, pas les autres. Owens affirmera pourtant qu’au moment où il est passé devant sa loge, Hitler s’est levé et lui a fait un signe de la main, auquel il a poliment répondu : « Hitler ne m’a pas snobé, c’est notre Président qui m’a snobé. Le Président ne m’a même pas envoyé un télégramme. » Franklin D. Roosevelt était occupé à sa campagne électorale pour sa réélection. De retour chez lui, bien qu’accueilli triomphalement, Jesse Owens a retrouvé son Amérique natale telle qu’elle était alors : ségrégationniste.

Aux JO de Mexico, le 16 octobre 1968, deux autres athlètes afro-américains protesteront contre cette ségrégation raciale, laissant une image parmi les plus iconiques du XXe siècle : sur le podium, Tommie Smith, médaille d’or du 200 mètres, et John Carlos, médaille de bronze, dressent leurs poings gantés de noir, têtes baissées. Médaille d’argent, l’Australien — blanc — Peter Norman arbore un badge du Olympic Project for Human Rights, comme ses deux camarades. Les trois se verront sanctionnés par leurs fédérations. Et les deux Américains ne seront reçus à la Maison-Blanche qu’en 2008, par Barack Obama

DEPUIS LES ANNÉES 70 : L’OMBRE DU TERRORISME, LES BOYCOTTS POLITIQUES

L’édition ouest-allemande de Munich, en 1972, devait effacer le funeste souvenir de celle de Berlin en 1936. Elle virera à la tragédie, en raison d’une sanglante irruption du conflit israélo-palestinien. Le 5 septembre, huit terroristes du groupe palestinien « Septembre noir » prennent en otage 11 athlètes israéliens à l’intérieur du village olympique. Mal gérée par les autorités allemandes, cette prise d’otages se solde le lendemain par un bilan terrible, 16 morts. Les terroristes exécutent tous leurs prisonniers et un policier local, alors que cinq Palestiniens sont tués.

Dès les JO suivants, à Montréal en 1976, les mesures de sécurité deviennent donc drastiques. Cela n’empêchera pas un attentat à la bombe de se produire lors des 26es olympiades d’été, à Atlanta (États-Unis) en 1996. Le parc du Centenaire (des JO modernes), au beau milieu du village olympique, est le théâtre d’une violente explosion, le 27 juillet. Une personne est tuée (une autre mourra plus tard) et 111 sont blessées. L’auteur, l’extrémiste de droite Eric Rudolph, ne sera arrêté qu’en 2003, après avoir perpétré trois autres attentats. Il en voulait au gouvernement fédéral.

Ces deux tragédies, puis les attentats du 11-Septembre et les autres attaques islamistes survenues ailleurs dans le monde pendant les décennies suivantes conduisent depuis lors chaque pays organisateur à soigner particulièrement la sécurisation des olympiades, comme à Paris en 2024.

En parallèle, surtout depuis les années 70, des États n’hésitent pas à boycotter les Jeux olympiques pour sanctionner leurs rivaux. Ainsi du ping-pong de la Guerre froide entre les États-Unis et l’URSS : les premiers (et 64 autres délégations, mais pas la France) boudent Moscou en 1980, les seconds (et 14 de leurs satellites) Los Angeles en 1984. L’apartheid en Afrique du Sud a aussi suscité de nombreux boycotts lors de plusieurs éditions. Et, logiquement, la Corée du Nord n’a pas participé aux JO d’hiver de Pyeongchang (Corée du Sud), en 2018.

En raison de l’invasion russe en Ukraine en 2022, le CIO autorise cette année les athlètes russes ou biélorusses à participer aux JO de Paris seulement s’ils concourent sous bannière neutre.