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Les robots, maillons essentiels du champ de bataille du XXIe siècle

A l’approche de la Journée de la robotique et de la deuxième édition du challenge CoHoMa (collaboration homme-machine), qui montrent l’ambition de l’armée de Terre en la matière, focus sur ce domaine en pleine expansion, dont la France explore aussi les enjeux éthiques.

DÉJÀ UN SIÈCLE DE RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT

Dès la Première Guerre mondiale, différentes armées, dont la française, cherchent à développer des systèmes de combat automatisés. Pendant la Seconde, le Goliath allemand (issu d’un prototype saisi en 1940 chez un ingénieur français) marque une étape importante : cet engin chenillé filoguidé kamikaze transporte des charges explosives et explose avec elles une fois atteint son objectif, char ou bastion fortifié.

C’est cependant au début de ce siècle que la robotique militaire entre dans son ère moderne, avec les guerres en Irak et en Afghanistan, à travers une de ses fonctions essentielles : le déminage. Les démineurs sont en effet les précurseurs de l’utilisation de robots terrestres en opérations, qui permettent de creuser le sol, de prendre des images et de détecter des explosifs. “En Afghanistan, les techniques d’IED [ndlr: engins explosifs improvisés, en anglais IED pour improvised explosive devices] utilisées par l’ennemi étaient vraiment de très haut niveau”, explique le capitaine Florent, formateur démineur à l’école du Génie, dans un reportage sur la robotique réalisé par le Journal de la Défense (JDEF).

Dans le même temps, c’est en France même qu’une unité du Génie de l’armée de Terre s’illustre comme pionnière de la robotique : la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Colossus, un robot d’extinction et d’exploration, a vu son premier exemplaire entrer en service en 2017. Il est utilisé en cas de risques d’effondrement, d’éboulement ou de grosse chaleur. “Aujourd’hui, ce robot est indispensable dans notre manière d’intervenir”, déclare dans le même reportage l’adjudant Benoît, chef du service de secours d’Issy-les-Moulineaux. “On pourrait difficilement revenir en arrière.” En moyenne, Colossus effectue 65 départs en intervention par an. Doté de capteurs qui “voient” à 360 degrés de jour comme de nuit, et détectent les gaz et produits toxiques, il peut aussi transporter des victimes et du matériel, avec plus de 200 kilos d’emport possible, et permet de s’engager plus rapidement sur un sinistre.

DRONES AÉRIENS, ROBOTS TERRESTRES ET SOUS-MARINS

A la Direction générale de l’armement (DGA), la course à l’innovation robotique est permanente, notamment en matière de déminage. “Comme les engins explosifs ne cessent de se diversifier, il faut utiliser des capteurs là aussi diversifiés, pour maximiser les chances de les détecter“, explique l’ingénieure en chef de l’armement Delphine, architecte des systèmes de combat terrestre futurs à la DGA, dans le reportage du JDEF. Des capteurs sont plutôt dédiés à la détection de l’électronique, d’autres décèlent les changements dans le sol… “On cherche même à fusionner les informations qui viennent de différents capteurs”, ajoute-t-elle.

C’est le cas du RSM (robotic sensitive minesweeper, robot démineur intelligent) de l’entreprise nantaise Capacités, soutenue par l’Agence de l’innovation de la défense (AID). Ce robot de détection de mines antipersonnels à faible signature magnétique, à double utilisation militaire (pendant le conflit) et civile (pour restituer des terrains sûrs aux populations), associe intelligence artificielle et robotique pour aider le démineur à prendre ses décisions à distance. Dans la Marine nationale, le SLAM-F, système de lutte anti-mines du futur, devrait être livré en 2024 pour les premiers engins de série.

Les robots permettent de voir, d’écouter, de sentir et d’agir plus loin. “On s’y intéresse pour l’infanterie, par exemple pour réaliser des investigations de bâtiments, voir s’il y a des ennemis ou des pièges”, explique l’ingénieure en chef de l’armement Delphine, mais aussi “pour la reconnaissance, la surveillance, le ravitaillement, et l’appui au combat”. “Ce qui paraît vraiment intéressant, c’est de pouvoir exploiter les capacités complémentaires de l’homme et de la machine.” La robotique devrait ainsi permettre d’améliorer le rapport de forces dans les combats en zone urbaine, un terrain historiquement défavorable aux militaires.

En ville comme pour le déminage, le défi majeur est que les robots sont plus à l’aise dans les milieux homogènes comme l’air ou l’eau, moins sur la terre. “Le milieu terrestre cumule de très nombreuses difficultés pour la robotique”, résume l’ingénieure Delphine : “On a une extrême diversité de l’environnement, des scènes qui sont parfois changeantes, très dynamiques, des zones souvent compartimentées, délimitées par des obstacles naturels ou artificiels… Ces caractéristiques impactent très fortement les capacités de mobilité, de communication, de réception des signaux satellites pour la géolocalisation, ou encore le traitement d’images.” Voilà pourquoi l’autonomie décisionnelle est un paramètre très important en matière de robotique. “Cela permet à l’opérateur d’éviter de devoir se focaliser sur la téléopération d’un robot, cela permet aussi de favoriser la discrétion hertzienne, et également d’être beaucoup plus fluide pour réagir aux aléas de l’environnement. Idéalement, on aimerait même aller jusqu’à des interactions en langage naturel, comme dire au robot : “Va te poster sur la colline en te déplaçant de façon furtive”.”

Le robot peut aussi être employé comme pion tactique : plusieurs robots terrestres et aériens utilisés en même temps, en coordonnant leurs systèmes. C’est le combat collaboratif, “l’autre game changer qu’on identifie pour le combat de demain”, selon l’ingénieure en chef de l’armement Delphine. “L’idée est d’exploiter la mise en réseau de l’ensemble des plateformes sur le champ de bataille et d’optimiser leur collaboration pour accélérer le tempo de la manœuvre.” L’objectif étant de comprendre, de décider et d’agir plus vite que l’adversaire sur le terrain.

PROJET VULCAIN, BATTLE LAB TERRE ET SECTION EXPLORATOIRE ROBOTIQUE

En robotique, “le champ des possibles est tellement vaste qu’il a fallu mettre en place une démarche, une méthode”, explique le lieutenant-colonel David, officier correspondant d’état-major robotique à l’état-major de l’armée de Terre (EMAT). D’où le projet Vulcain, porté depuis 2021 par l’EMAT. L’idée, “c’est de disposer, à l’horizon 2040, d’unités opérationnelles qui utilisent et maîtrisent l’emploi de systèmes automatisés dans le combat de demain”, ajoute le colonel.

“Vulcain n’est pas un programme mais une démarche exploratoire qui devra inspirer les programmes”, précise le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre. “Elle s’appuie sur une communauté robotique rassemblant une diversité d’acteurs : l’armée de Terre, la Direction générale de l’armement, l’Agence de l’innovation de défense, de grands industriels comme de petites et moyennes entreprises et des universitaires.”

Ce volet de recherche et développement s’accompagne d’expérimentations poussées sur le terrain. Le but étant d’avoir “des solutions robotiques intégrées dans les unités de combat à un horizon de 4 à 5 ans pour les premières étapes”, expliquait en 2022 le colonel Sébastien, directeur du Battle Lab Terre, créé en 2019 sur le plateau de Satory, et chargé de l’innovation technico-opérationnelle. Il s’agit même d’arriver “à avoir des systèmes robotisés équipiers des unités opérationnelles”.

Ainsi la Section exploratoire robotique, créée à l’été 2021, rassemble aujourd’hui 17 militaires. Son but est d’avoir des soldats opérationnels spécialisés dans l’emploi des robots, et non plus de simples expérimentateurs. “L’utilisation des drones et robots change la façon de penser en manœuvre”, relate auprès du JDEF le lieutenant Mamadou, chef de cette section. “Les missions qui se faisaient avant en une heure se font maintenant en dix minutes, puisque l’utilisation des drones en avance de phase pour le renseignement nous permet d’éviter certaines missions et d’anticiper sur le futur.”

Le même souci de réalisme opérationnel préside au challenge CoHoMa (collaboration homme-machine), organisé par l’armée de Terre, dont la deuxième édition aura lieu du 11 mai au 7 juin, juste après la Journée de la robotique (le 10 mai sur le camp de Beynes dans les Yvelines). Pour le colonel David Schuster, officier référent robotique au sein de l’EMAT, le challenge CoHoMa constitue “une véritable mise en situation opérationnelle robotique ouverte au monde civilo-militaire”.

La robotique soulève d’importants enjeux éthiques et juridiques. Pour y répondre, en 2020, une structure unique au monde a été créée au ministère des Armées : le premier comité d’éthique de la défense, qui a approuvé le choix de la France de renoncer aux SALA, les systèmes d’armes létaux automatisés, au profit des SALIA, les systèmes d’armes létaux intégrant de l’autonomie. Ce choix souligne l’importance d’une intervention de l’être humain dans l’appréciation de la situation et dans l’enchaînement de la décision. En résumé, plutôt que de mettre des robots à la place des humains, il s’agit de les mettre avec les humains. Mais si la France a renoncé aux SALA, elle continue de les étudier, afin de pouvoir se prémunir de ceux employés par d’éventuels ennemis.