Les relations entre la France et Djibouti
L’été dernier, le président de la République Emmanuel Macron indiquait vouloir « repenser » l’ensemble des dispositifs militaires français en Afrique. Il a précisé, lors de la revue nationale stratégique en novembre dernier que Djibouti ne serait pas concerné. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, puis le chef d’État-major des armées, le général Thierry Burkhard, se sont rendus fin 2022 à Djibouti (RDD), afin d’évoquer avec son président, Ismaïl Omar Guelleh, la prolongation du traité de défense liant les deux pays et de marquer l’attachement de la France à Djibouti. L’accord actuel, signé en 2011, arrive à son terme en 2024.
L’Hexagone entretient une relation privilégiée avec son ancienne colonie, indépendante depuis 1977 : des militaires tricolores y stationnent depuis 1894, dans ce qui constitue aujourd’hui la plus importante base française à l’étranger, avec 1 500 militaires et civils. Les Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj) représentent le seul contingent qui vit en famille à Djibouti, intégré à la société djiboutienne. Les FFDj ont été engagées dans une douzaine d’opérations depuis 1999, en Asie comme en Afrique. Situé au débouché de la mer Rouge, sur la rive ouest du détroit de Bab-el-Mandeb, Djibouti est un point de passage obligé sur la route maritime entre l’Europe et l’Asie. 70% des importations françaises et 15% des besoins en hydrocarbures de la Métropole transitent par le canal de Suez. C’est le point de jonction entre la péninsule arabique et l’Afrique de l’est.
Un État au centre des préoccupations
Mais depuis les années 2000, différentes crises dans la région (terrorisme, piraterie, conflits en Irak ou au Yémen) ont conduit d’autres puissances à s’implanter en RDD : les États-Unis y créent en 2002 leur unique base permanente en Afrique, suivis en 2009 du Japon, soucieux de protéger ses exportations par flux maritime ; l’Italie s’installe à son tour en 2014, puis la Chine en 2017. Pour les deux pays asiatiques, il s’agit de leur première implantation militaire permanente à l’étranger. Enfin, dans le cadre de l’opération européenne de lutte contre la piraterie Atalante, un contingent espagnol est stationné sur la base aérienne française.
Pour Djibouti, ces concessions représentent une rente annuelle estimée à 170 millions de dollars, soit 3% du PNB. « La diplomatie exercée par Djibouti est un sujet d’étude passionnant pour les auditeurs de l’IHEDN », estime la chercheuse Sonia Le Gouriellec1. « Sa politique consiste à jouer de la concurrence entre les puissances. Toutes ces puissances s’observent sans s’affronter, car elles ont intérêt à ce que cette région demeure stable. Tous les enjeux d’avenir du continent africain sont concentrés sur ce petit territoire. » Elle n’hésite pas à qualifier le pays, grand comme deux fois l’Île-de-France, d’”Etat garnison” et de “porte-avions naturel”.
Alors que la France réduisait sa présence (sa base accueillait 4 300 soldats juste après l’indépendance, et encore 2000 il y a 15 ans), les Chinois sont devenus des acteurs majeurs dans la région, qui borde la voie maritime des Nouvelles routes de la Soie lancées en 2013 par Xi Jinping. L’intérêt de Pékin pour la RDD était d’abord économique : il concernait l’accès aux ressources naturelles de l’Éthiopie, et plus largement le développement de la région. De 2012 à 2020, ils ont investi de l’ordre de 14 milliards de dollars dans la construction, les télécommunications, puis dans les implantations portuaires. Leur base militaire, qui accueille 400 soldats (et pourrait en accueillir jusqu’à 7 000), a vocation à sécuriser des flux maritimes vitaux pour leur économie, mais elle offre aussi à Pékin la capacité de rayonner au-delà du champ d’action traditionnel des forces armées chinoises, sur l’ensemble de l’océan Indien.
Au-delà de cette dépendance nouvelle à la Chine (55% du stock de la dette de la RDD est chinoise), l’environnement régional, particulièrement conflictuel, est une menace pour Djibouti. La corne de l’Afrique est en plein bouleversement depuis deux ans. Jusqu’en 2020, l’Éthiopie connaissait une période de développement économique, et avait engagé un mouvement de pacification avec l’Érythrée. « Depuis novembre 2020, la situation est préoccupante : on peut parler d’une véritable dislocation de l’Éthiopie, avec de nombreux conflits, dans la région du Tigré au nord, et en pays Oromo au sud », rappelle Sonia Le Gouriellec. « L’Érythrée, qui est un régime totalitaire, a un rôle important dans la dégradation de la situation, et le conflit s’est étendu à Djibouti, où les membres des ethnies afar et somali se sont affrontés. » Depuis l’été 2021, la situation semble se stabiliser.
Dans ce contexte, quels sont aujourd’hui les enjeux stratégiques pour la France dans cette région ?
Ils ont été clairement détaillés par le président de la République, lors de la présentation de la Revue nationale stratégique, le 9 novembre à Toulon : « La France a toujours vocation à être aux côtés de ses partenaires étrangers. Nous souhaitons être pourvoyeurs de sécurité, de l’Afrique subsaharienne au golfe arabo-persique, en passant par la Corne de l’Afrique. Cela vaut aussi pour l’Indopacifique où nous avons proposé dès le printemps 2018 une stratégie innovante, claire, profonde, qui a ensuite inspiré une stratégie européenne un peu plus de deux ans plus tard, et où nous devons faire prospérer ce cercle de solidarité important, allant des Émirats arabes unis qui sont pour nous un partenaire exemplaire et fiable pour notre pays dans tous les domaines, en passant par Djibouti. Nous tenons à notre présence et nous avons là aussi une histoire et un avenir. »
À l’heure actuelle, les FFDj sont encore les seules à disposer de tout le spectre des capacités militaires à Djibouti. Mais, Sonia Le Gourriellec rappelle que la présence française en RDD ne se limite pas à un simple contrat de sécurité et de stabilité. « La France a conservé une image de protecteur du pays, dont les autres acteurs ne bénéficient pas -même si cette image a été assombrie par l’impression d’un désengagement militaire, politique et économique ressenti par les Djiboutiens. Si on veut jouer un rôle dans la zone indopacifique, il me semble qu’il est nécessaire et primordial de maintenir cette présence en RDD ».
1 Sonia Le Gouriellec, « Djibouti. La diplomatie de géant d’un petit État », Presses Universitaires du Septentrion, 2020.