Une fois sous l’eau, l’homme est peu visible de ses congénères, et presque totalement silencieux. Ces qualités précieuses en temps de conflit n’ont pas échappé aux stratèges les plus anciens, depuis l’Antiquité. « Les premières traces connues d’activité guerrière sous-marine datent d’Alexandre le Grand, lorsqu’il immerge des caissons pour construire une digue pendant le siège de Tyr, en 332 avant notre ère », indique le contre- amiral (2S) François Guichard, qui est depuis l’été 2024 le premier amiral chargé de la fonction « histoire » (ALHIST) de la Marine nationale.
Cet ancien commandant du sous- marin nucléaire d’attaque (SNA) Améthyste et du sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) le Terrible est passionné par l’histoire de ces bijoux technologiques, qui lui a inspiré deux romans. « De longue date, la dimension sous-marine a intéressé les hommes, pour mener des actions de guerre ou simplement pour récupérer des canons, qui étaient très chers, dans des navires ayant sombré », relate-t-il. Ainsi, « en 1472, un Vénitien propose les plans d’un sous-marin au doge de l’époque », qui ne donne pas suite.
Au XVIe siècle, des « cloches sous-marines » permettent de marcher sous l’eau. Et bientôt, alors que les sous-marins n’existent pas encore, « on écrit déjà sur leurs avantages stratégiques », s’amuse l’amiral Guichard. Il mentionne l’ecclésiastique et polymathe britannique John Wilkins qui, en 1648, en liste cinq : discrétion, sûreté, possibilité de miner la flotte ennemie, d’attaquer ou ravitailler discrètement et, enfin, d’explorer les fonds marins.
EN 1778, L’IDÉE DE REMONTER LA TAMISE POUR DÉTRUIRE LA FLOTTE ANGLAISE
En 1778, alors que la France est en guerre contre l’Angleterre, un courtisan, monsieur Beaugenet, écrit au roi Louis XVI pour lui proposer une offensive audacieuse : un sous-marin remonterait la Tamise jusqu’à atteindre les navires d’Albion pour les faire exploser. Un premier « sous-marin de poche », baptisé American Turtle, avait vu le jour en 1775 outre-Atlantique.
En 1863, lors de la Guerre de Sécession aux États-Unis, le Hunley de l’armée sudiste est le premier sous-marin à couler un navire ennemi, mais il sombre peu après. Lancé par la France la même année, le Plongeur, d’une longueur de 42,5 mètres, rencontre des problèmes de stabilité (l’avant ayant tendance à piquer) au point qu’il est désarmé en 1867. Jules Verne s’en est inspiré pour le fameux Nautilus de « Vingt Mille Lieues sous les mers », publié en 1869.
En 1888, l’Espagne et la France lancent les premiers sous-marins à moteur électrique. Construit à l’arsenal de Toulon, le français s’appelle le Gymnote, mesure 17 mètres et emporte 5 hommes d’équipage. Lors d’essais en 1890, il parvient à plonger sous la quille d’un navire sans être détecté, forçant ainsi un blocus.
En 1899, « le Narval constitue une première rupture technologique en combinant des moteurs électrique et à vapeur, ce qui lui donne une grande allonge », raconte l’amiral Guichard. « On passe ainsi d’une dizaine d’heures de navigation à 3 à 5 jours en mer. » Et, ajoute l’officier, « en 1905, la France possède plus de sous-marins que toutes les autres nations du monde réunies, alors que l’Allemagne n’en a pas ».
1914-18 : PREMIÈRE UTILISATION À GRANDE ÉCHELLE DES SOUS-MARINS
La Première Guerre mondiale voit « la première utilisation à grande échelle des sous-marins », en particulier pendant la première bataille de l’Atlantique, que les Allemands perdront. Dans les années 1930, ces derniers investissent massivement dans leur flotte sous-marine. « Les sous-marins se construisent rapidement et coûtent moins cher qu’un gros cuirassé », explique François Guichard.
Pendant le second conflit mondial, cette grosse armada de « U-Boot » du IIIe Reich « leur permet d’éviter le blocus adverse tout en attaquant les navires ennemis pour gêner le ravitaillement de leurs empires coloniaux ». Les Allemands ne remporteront pas non plus cette seconde bataille de l’Atlantique, qui joua un rôle majeur dans la guerre.
Dans le Pacifique, c’est l’inverse : le Japon, puissance de l’Axe au côté de l’Allemagne nazie, subit un blocus ravageur des sous-marins américains. Si un sous-marin nippon parvient à bombarder Los Angeles le 23 février 1942, c’est principalement les sous-marins américains qui étranglent l’empire oriental en s’attaquant à ses approvisionnements.
Quatre jours plus tôt, de l’autre côté du continent, le plus gros sous-marin au monde sombrait accidentellement dans la mer des Antilles. Construit à Cherbourg et lancé en 1934, le Surcouf (110 mètres de long, 126 hommes d’équipage) était français et embarquait un hydravion aux ailes repliables propulsé par une catapulte. « Il était très novateur, même s’il ne plongeait qu’à 80 mètres d’immersion », juge l’amiral Guichard.
FIN 1971, LE PREMIER SNLE FRANÇAIS ENTRE EN SERVICE
Cette même année 1942, le 27 novembre, le gouvernement de Vichy ordonne le sabordage de la flotte française mouillant à Toulon afin qu’elle ne tombe pas dans les mains du Reich, qui vient d’envahir la zone libre. Les équipages de quatre sous-marins ignorent cet ordre, trois d’entre eux parvenant à rejoindre les Alliés avec leurs bâtiments.
Dans l’après-guerre, les sous-marins français sont toujours propulsés au combiné diesel-électrique, ce qui nécessite de se rapprocher régulièrement de la surface pour aspirer de l’air au moyen d’un schnorchel (tube d’air périscopique). C’est dans un navire comme ceux-ci, de type « conventionnel », que François Guichard a commencé sa carrière.
La révolution arrive le 1er décembre 1971, quand le SNLE le Redoutable, développé depuis les années 1950, entre en service actif. Les sous-mariniers français sentent la différence : « Un sous-marin diesel navigue à 10 nœuds en surface et 5 à 10 nœuds en plongée », explique l’amiral Guichard. « Avec la propulsion nucléaire, le ratio est inversé, avec plus de 20 nœuds en plongée. »
Les 6 SNLE de classe Redoutable serviront jusqu’en 2008. La classe actuelle, celle du Triomphant (138 mètres de long, 112 hommes d’équipage), en comprend 4, qui assurent la composante océanique des forces de dissuasion nucléaire françaises (en plus de la composante aérienne). Le navire de tête est entré en fonction en 1997, et cette classe sera remplacée à compter de 2035 par 4 SNLE de 3ème génération.
LES MULTIPLES MISSIONS DES SNA CONTEMPORAINS
Le premier SNA français, le Rubis, a été opérationnel en 1981. Six navires de cette classe seront construits au total, dont trois sont encore en service. Le programme Barracuda de l’industriel Naval Group, dont François Guichard a eu la charge côté Marine nationale, vise à les remplacer. Le premier, le Suffren, navigue en opérations depuis juin 2022. Les navires de classe Suffren mesurent 99,5 mètres de long et embarquent 63 hommes d’équipage, soit moins que ceux de classe Rubis (70), grâce à une meilleure automatisation.
Les fonctions d’un SNA contemporain sont multiples, développe l’amiral Guichard :
« Il peut remplir des missions en haut du spectre ou en bas du spectre : anti-navires, anti-sous-marins, lancer des torpilles, protéger les SNLE ou nos convois, menacer des convois adverses, entraîner les SNLE, structurer les forces sous-marines, déposer des mines, lancer des missiles en s’approchant plus près des côtes pour détruire des infrastructures terrestres ; mettre en œuvre des commandos ou des mini-sous-marins ; faire du renseignement avec ses propres capteurs, ou en lançant des drones. »
Un SNA sert aussi au sein du groupe aéronaval du porte-avions Charles de Gaulle, « à qui il offre une autre dimension », poursuit François Guichard, qui estime que « ses missions ne sont pas limitées ».
LES SNLE : GRANDE LIBERTÉ D’ACTION, GRANDES RESPONSABILITÉS
Quant aux SNLE actuels, « ils sont un peu comme des SNA, en plus discrets, avec en plus la capacité de dissuasion » :
« Chaque sous-marin emporte l’équivalent de 16 fusées Ariane. Ces missiles balistiques stratégiques mer-sol commencent leur trajectoire dans l’eau, puis passent dans l’atmosphère et ensuite dans l’espace, pouvant aller au-dessus de la Station spatiale internationale, où ils largueraient leur charge. Capables de parcourir plusieurs milliers de kilomètres en moins de 25 minutes, ils offrent une grande liberté d’action, qui s’accompagne évidemment de grandes responsabilités. »
Avec ces deux types de sous-marins à l’autonomie quasi infinie grâce à leur propulsion nucléaire, « la seule limite est humaine », poursuit l’officier. Lui-même a déjà plongé 78 jours d’affilée à bord d’un SNLE, et 58 jours dans un SNA. Un SNLE, dont la fonction stratégique nécessite une plus grande autonomie, est équipé pour tenir, sans faire surface, 120 jours « en vivres normaux, et encore plus en survie ». Au total, l’amiral-écrivain cumule 28 000 heures en plongée, soit « 3 ans et demi ».
Jusqu’à quelle profondeur ? Cette donnée est classifiée. « Plus de 300 mètres de fond pour les deux types », concède seulement François Guichard. Selon des informations en source ouverte, un SNLE pourrait atteindre au moins 400 mètres.
Pour en savoir plus sur les origines des sous-marins français, deux romans historiques du contre-amiral François Guichard :
- « Premières plongées – Vingt milles nautiques sous la mer », 384 pages, éditions Locus Solus, 2022 (sur l’histoire du Plongeur sous le Second Empire).
- « Premières armes – L’appel du large », 416 pages, éditions Locus Solus, 2024 (suite du précédent, dans les années 1900).
Le sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) le Triomphant, l’un des quatre en service actuellement dans la Marine nationale. © Sarah Lacarrère/Marine nationale
Crédit photo : Le sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) le Triomphant, l’un des quatre en service actuellement dans la Marine nationale. © Sarah Lacarrère/Marine nationale