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La réserve des armées, pivot des forces morales de la nation

D’ici à 2035, pour répondre aux nouveaux besoins, le nombre de réservistes va bondir de 40 000 à plus de 100 000. À la veille du colloque de l’ACADEM sur les forces morales, zoom sur ce système permettant aux citoyens de s’engager sous les drapeaux, au service du pays.
: des soldats du 24e Régiment d’infanterie de Vincennes, unique régiment de réserve de l’armée de Terre, lors de l’exercice Vulcain, réalisé dans l’Allier du 30 octobre au 3 novembre 2023.

Des soldats du 24e Régiment d’infanterie de Vincennes, unique régiment de réserve de l’armée de Terre, lors de l’exercice Vulcain, réalisé dans l’Allier du 30 octobre au 3 novembre 2023.

© Antoine Delaunay/DICoD/Ministère des Armées

Boulanger la semaine, soldat en patrouille pour l’opération Sentinelle le week-end, ou chargée de communication dans le civil et adjointe d’un officier porte-parole dans la Marine : voilà deux exemples d’engagements que permet la réserve des armées françaises. Au 31 décembre, ce seront plus de 40 000 hommes et femmes qui se seront engagés dans la réserve opérationnelle (RO), aux côtés des 200 000 militaires d’active du pays. Un appui légèrement plus féminisé que dans l’armée professionnelle. La réserve opérationnelle comporte en effet 22,6% de personnel féminin (et même 33% chez les nouveaux arrivants), contre 16,8% pour l’active.

Pour répondre à l’ambition présidentielle, les armées ont décliné une stratégie dédiée : le « Plan réserves 2035 » (PR35). Il formalise les différents processus qui vont conduire à atteindre l’objectif d’augmentation numérique, mais également la montée en gamme qualitative. Il s’agit d’adapter le format des armées françaises à la nouvelle donne géostratégique ainsi qu’aux évolutions sociétales. 3800 nouveaux volontaires seront recrutés en 2024, 4000 par an en 2025 et 2026, 6000 en 2027 et 2028, 8000 en 2029 et 2030. Leur nombre aura donc doublé en sept ans. Et en 2035, l’effectif devra même atteindre 105 000 personnes, soit un ratio d’un réserviste pour deux militaires d’active.

« UN DÉFI MAJEUR POUR LES ARMÉES »

« C’est un défi majeur pour les armées », commente le général de brigade Frédéric Barbry, chef de la division cohésion nationale (en charge de la réserve, de la jeunesse, des relations avec l’Éducation nationale et avec les entreprises) de l’état-major des armées (EMA), et délégué interarmées aux réserves (DIAR). « Un chantier considérable qui constitue une véritable rupture, un changement de paradigme dans l’appréhension de l’emploi des réserves au sein des armées. »

« Les » réserves, car il en existe plusieurs. La réserve citoyenne de défense et de sécurité (RCDS) rassemble actuellement 4 200 personnes, bénévoles et exerçant en tenue civile, dont l’engagement (sans limite d’âge) est soutenu par des ambassadeurs prestigieux comme l’astronaute Thomas Pesquet (pour l’armée de l’Air et de l’Espace), le chef étoilé Thierry Marx (Légion étrangère) ou le basketteur Boris Diaw (Marine). L’état-major planche actuellement sur des mesures « pour mieux utiliser cette réserve à son juste niveau de compétence », indique le général Barbry.

La RO, elle, se divise en deux catégories : le deuxième niveau (RO2) concerne 60 000 anciens militaires d’active, qui ont une obligation de disponibilité de 5 ans après leur départ. « Aujourd’hui, cette réserve demeure encore trop sous-exploitée », constate l’officier général. « Notre but est donc de la faire monter en gamme afin de disposer d’une réserve stratégique, d’ores et déjà formée, apte à consolider les unités d’active pour les régénérer, le cas échéant, dans le cadre d’un conflit majeur. » Votée l’été dernier, la Loi de programmation militaire 2024-2030 permet d’ores et déjà d’accroître la durée et l’emploi du rappel de ces réservistes, en passant de 5 à 25 jours de convocation sur cinq ans.

APPORT DE COMPÉTENCES, PROTECTION DU TERRITOIRE…

L’autre catégorie, concernée au premier chef par l’augmentation exponentielle, est la réserve opérationnelle de premier niveau (RO1) : des volontaires mettant leurs compétences au service des armées contre rémunération, portant l’uniforme, et dont la limite d’âge d’engagement vient d’être relevée à 72 ans. Ils signent un contrat d’une durée de 1 à 5 ans.

Grâce à l’augmentation de ces effectifs, l’emploi de la réserve des armées sera accru au quotidien et renouvelé dans ses missions sur trois axes : la protection du territoire, l’intervention aux côtés de l’active, et l’apport de compétences.

En fonction des missions à réaliser, les armées puisent dans l’un des deux segments composant la RO1 :

  • les compléments individuels, qui représentent aujourd’hui 60% du total. En 2024, cette réserve a vocation à perdurer, en intégrant davantage de réserve de compétence. Ces compléments individuels participeront toujours au fonctionnement des armées, mais apporteront aussi des compétences rares ou permettront le recentrage du personnel d’active sur son cœur de métier ;
  • les unités élémentaires de réservistes (UER) englobent le reste, soit 16 000 militaires en 2023, et ont vocation à se développer. « Les UER se déclineront en unités équipées et entraînées afin de constituer des réservoirs de forces pour renforcer la protection des installations militaires, opérer sur la zone arrière, compléter ou relever les unités d’active engagées en intervention », précise le général Barbry. « À terme, l’ambition est d’inverser ce ratio entre les UER et les compléments individuels. »

Les 40 000 réservistes opérationnels actuels sont issus pour 42% du secteur privé et à 25 % du secteur public, dont 5,5% du ministère des Armées.

LA RÉSERVE RÉNOVÉE SERA PLUS JEUNE, PLUS FÉMINISÉE…

« Cette carte d’identité est appelée à se transformer avec la réserve rénovée, certainement plus féminisée, plus jeune et davantage issue de la société civile », annonce le délégué aux réserves. « L’idée est de passer d’un modèle de compléments, façon puzzle, à la constitution d’une réserve stratégique avec un modèle fondé sur une meilleure intégration avec l’active. »

Pour y parvenir, le PR35 met en œuvre des mesures nouvelles :

  • recrutement : refonte du parcours d’engagement du réserviste en le rendant plus simple, plus lisible, plus rapide et mieux accompagné, avec notamment la réduction du délai de recrutement à 10 semaines. Meilleure gestion des compétences dès le début, avec la mise en place d’un catalogue de reconnaissances croisées des compétences civiles et militaires.
  • instruction: définition d’un socle commun via l’enseignement à distance ou des MOOC (cours en ligne ouverts à tous) pour l’instruction initiale, quel que soit le profil des réservistes, garants de leur insertion et de leur « militarité ». Le premier MOOC sera en ligne au deuxième semestre 2024. Dans tous les cas, une instruction adaptée au juste besoin.
  • entraînement : montée en gamme de l’entraînement qui passera de 17% du temps de réserve aujourd’hui, à 25% en 2030, afin de répondre au besoin de rehaussement du standard opérationnel.

 

Pour recruter plus de réservistes, une dimension s’avère cruciale : la relation de leurs employeurs avec les armées. Les entreprises qui veulent mettre en place des dispositions plus favorables que la législation pour leurs réservistes sont invitées à signer une convention de partenariat (CP) avec le ministère des Armées, au travers du Secrétariat général de la Garde nationale. Alors que les salariés réservistes bénéficient d’une autorisation d’absence de dix jours par année civile pendant leur temps de travail, les entreprises partenaires leur accordent plus de facilités. « Cela peut être des jours supplémentaires, un délai de réactivité plus faible, le maintien du salaire… », précise le général Barbry. Fin septembre, 131 CP avaient déjà été signés en 2023 (contre une moyenne annuelle de 120 auparavant), portant le total à 983.

UN RÉGIMENT, DES FLOTTILLES ET UNE BASE AÉRIENNE DE RÉSERVISTES

Pendant que l’EMA conduit cette réforme, les différentes armées, directions et services du ministère des Armées montent en puissance dans le champ de la réserve :

  • La Marine nationale va déployer trois flottilles côtières sur l’ensemble du littoral (Atlantique dès 2024, ultérieurement en Méditerranée et en Manche), et 6 escouades en outre-mer avec un effort sur les Antilles dès 2025, pendant que 30 unités de réserve opérationnelle de la marine seront implantées dans les ports.
 
  • L’armée de l’Air et de l’Espace va créer une base aérienne de réserve et des escadrons de réserve adossés à chaque base aérienne, outre-mer inclus.
 
  • Directions et services : par exemple, en 2027, le Service des énergies opérationnelles créera une unité de soutien pétrolière près de la base pétrolière interarmées de Chalon-sur-Saône, sur un modèle de parité active-réservistes.
 
  • L’armée de Terre déploiera 6 bataillons de réserve dès 2024, 6 autres en 2025, ainsi que des unités en outre-mer. Les secteurs les plus concernés sont le renseignement, la logistique, le cyber et la maintenance.
 

Cette dernière armée concentre actuellement les effectifs les plus importants, avec plus de 24 000 réservistes opérationnels. Il y existe même une unité entièrement composée de réservistes (sauf 3% de militaires d’active pour l’encadrement) :  le 24e Régiment d’infanterie, basé à Vincennes (Val-de-Marne) et engagé dans la plupart des opérations conduites sur le territoire national.

Du 30 octobre au 3 novembre, ses soldats étaient dans l’Allier pour l’exercice Vulcain, qui a rassemblé 300 personnes, toutes réservistes. À l’avenir, les sessions d’entraînement comme celle-ci sont appelées à se multiplier.

Cette augmentation des réserves s’accompagnera bien sûr d’une stratégie de communication dédiée. « Cette stratégie, outre le recrutement et la promotion des réserves, devra également valoriser leur engagement », annonce le général Barbry. « Elle mettra en valeur leur action au profit des forces armées, mais aussi de la nation toute entière. »

Offres d’emploi et autres informations sur le site Réservistes des armées