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« Monuments Men » : la touche française d’une célèbre épopée

Mise en valeur par une exposition dans le Val-d’Oise, la mission de récupération d’œuvres d’art dans le IIIe Reich vaincu recèle des facettes méconnues, au-delà de l’art et de la conservatrice et résistante Rose Valland.

Fin août 1944, le château millénaire de La Roche-Guyon, dans l’actuel Val-d’Oise, a reçu la visite d’un officier de la Monuments, Fine Arts, and Archives Section Unit (MFAA), un programme créé en 1943 par les Alliés pour récupérer les œuvres d’art volées par les nazis. Alors âgé de 38 ans, le lieutenant James J. Rorimer était, dans le civil, conservateur au département médiéval du Metropolitan Museum of Art de New York.

Historien d’art diplômé de Harvard, il s’est engagé dans cette unité plus connue aujourd’hui sous le surnom de « Monuments Men ». Surnom qui donne son titre à une exposition dans le même château de La Roche-Guyon, visible jusqu’au 24 novembre. Depuis son ouverture le 18 mai, elle a attiré plus de 50 000 visiteurs.

« Comme les autres Monuments Men, Rorimer était un homme d’âge plutôt mûr », raconte Mattéo Grouard, le commissaire de l’exposition. « Ils avaient entre 35 et 60 ans, face à une moyenne d’âge de 26 ans dans l’armée américaine. Souvent mariés et pères de famille, ils étaient suffisamment mûrs pour se faire à l’idée que certains n’en reviendraient pas. Et certains ont sacrifié leur vie pour préserver un peu de la beauté du monde. »

ILS RÉPARAIENT SOUVENT LES DOMMAGES CAUSÉS PAR LEURS PROPRES ARMÉES

Deux Monuments Men seront tués dans le conflit. James Rorimer, lui, survivra, et deviendra le directeur du prestigieux « Met » new-yorkais de 1955 à 1966. Quand il a inspecté La Roche-Guyon en 1944, c’est parce que le château venait de subir, le 25 août, un bombardement allié. « Les Monuments Men ont souvent été amenés à réparer les dommages causés par leurs propres armées », relève Mattéo Grouard.

James Rorimer (à droite) le 12 septembre 1944 au Louvre devant l’emplacement vide de la Joconde (cachée loin de Paris dès 1939).

En l’occurrence, le château de La Roche-Guyon avait tout de même abrité, de février à début août 1944, l’état-major du maréchal allemand Erwin Rommel, « le Renard du Désert », puis de son successeur. « Pendant le séjour de Rommel, il n’y a eu ni pillage ni dégradation », note Mattéo Grouard. « Il a d’ailleurs évoqué les œuvres d’art du château dans des lettres à sa femme. »

Le jeune commissaire de 24 ans organise là sa 8ème exposition. « Depuis l’âge de 10 ans, l’histoire des Monuments Men me passionne », dit-il. « J’ai donc constitué une collection personnelle sur ce thème, et je suis entré en contact avec des familles de membres de la MFAA. » Dont celle du capitaine de corvette George L. Stout, qui a inspiré le personnage incarné par George Clooney dans le film à succès « The Monuments Men » (2014).

Le commissaire de l’exposition Mattéo Grouard avec des descendantes du capitaine de corvette George L. Stout, sur la plage normande Utah Beach où ce dernier a débarqué en juillet 1944.
Le commissaire de l’exposition Mattéo Grouard avec des descendantes du capitaine de corvette George L. Stout, sur la plage normande Utah Beach où ce dernier a débarqué en juillet 1944.

C’est l’acteur Matt Damon qui joue le rôle inspiré par James Rorimer. Dans la réalité, c’est bien ce dernier qui a travaillé avec Rose Valland, la figure française la plus emblématique de l’épopée des Monuments Men. Attachée de conservation au Jeu de Paume, mademoiselle Valland a scrupuleusement tenu l’inventaire des œuvres d’art pillées par les nazis, qui utilisaient ce musée parisien comme « gare de triage ».

23 FRANÇAIS PARMI LES « MONUMENTS MEN »

Adolf Hitler entendait en effet rassembler les plus belles œuvres européennes dans un musée à sa gloire, le Fürhermuseum, près de Linz (Autriche), grâce notamment à l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR, en français Équipe d’intervention du gouverneur du Reich Rosenberg). « Il souhaitait que la grandeur de son musée dépasse celle du Louvre », explique Mattéo Grouard. Il ne sera finalement jamais construit, mais des dizaines de milliers d’œuvres volées à des institutions publiques ou à des collectionneurs privés (principalement juifs) seront emportées en Allemagne et en Autriche.

À compter de 1944, c’est grâce aux informations récoltées dès l’automne 1940 par Rose Valland que les Monuments Men retrouveront ces œuvres cachées dans des mines ou des tunnels. Jusqu’en 1954, la conservatrice française participera au rapatriement de quelque 60 000 biens culturels pillés en France, parmi lesquels des drapeaux et canons du musée de l’Armée qu’elle débusquera en zone soviétique.

La capitaine Rose Valland a raconté son action dans « Le Front de l’art : défense des collections françaises, 1939-1945 », paru en 1961 et plusieurs fois réédité depuis. Morte en 1980, elle demeure l’une des femmes les plus décorées de l’histoire de France.

Sur son très riche site, la « Monuments Men and Women Foundation », basée au Texas, recense officiellement 348 membres de la MFAA de 14 nationalités, dont chacun a inspecté en moyenne 1000 lieux selon Mattéo Grouard. Parmi eux, 23 Français.

Plusieurs ont joué un rôle majeur, comme Jacques Jaujard, directeur des Musées nationaux pendant la guerre, résistant, initiateur et soutien de l’action de Rose Valland. D’autres furent instrumentaux dans la récupération des œuvres, notamment le commandant Pierre-Louis Duchartre, la capitaine Marcelle Minet, le commandant Bernard Druène, le colonel Michel François, le capitaine Hubert de Brye ou l’historien d’art septuagénaire Carle Dreyfus.

UN ASPECT MÉCONNU : LE PILLAGE DU PATRIMOINE SCIENTIFIQUE

Certains sont encore peu ou pas documentés, comme le lieutenant-colonel Cheguillaume, le capitaine Jean Rouvier, Margaret Callon ou une « madame Wolff ». Le lieutenant-colonel Raymond Hocart, lui, permet d’évoquer un aspect méconnu de cette célèbre épopée : le pillage du patrimoine non pas artistique, mais scientifique.

Professeur de minéralogie à l’université de Strasbourg avant la guerre, Hocart est affecté en septembre 1945 à la MFAA comme officier de restitution avec pour mission de localiser, d’identifier et de rendre à la France les matériaux scientifiques, archives et documents de recherche volés par les nazis dans cette même université.

Au moment de la libération de l’Alsace par les troupes françaises en novembre 1944, on estime que, sur les dizaines de milliers de livres appartenant à l’université de Strasbourg, seuls 600 subsistaient. Le colonel Hocart retrouve des caisses d’ouvrages et d’archives dans un château bavarois, dans des mess d’officiers nazis et dans des mines. En octobre 1945, inspectant une usine près de Stuttgart, il récupère 100 caisses d’instruments ou matériaux scientifiques ainsi que cinq armoires, trois tables et même un poêle appartenant au laboratoire de son université.

Comme la plupart des Monuments Men, Raymond Hocart poursuivra après-guerre sa brillante carrière scientifique, la terminant comme titulaire de la chaire de minéralogie à la Sorbonne.