Après la défaite de Napoléon 1er en 1815, la France et le Royaume-Uni ont appris à solder les siècles de différends qui les opposaient depuis le Moyen-Âge. Sans remonter à la première Entente cordiale (1833) ou à leur alliance durant la guerre de Crimée (1853-56), on constate que la dimension militaire prend une ampleur croissante au fil des décennies.
En 1904, la deuxième Entente cordiale voit apparaître les premiers échanges d’officiers entre les deux armées ; cette dimension est augmentée après le traité de Dunkerque (1947) et le sommet de Saint-Malo (1998). Mais c’est au cours des 15 dernières années que la relation de défense franco-britannique s’est considérablement renforcée, notamment avec le traité de Lancaster House, en 2010. Il inscrit dans le marbre l’assurance d’une coopération militaire commune entre la France et le Royaume-Uni. Le Brexit, entré en vigueur début 2020, n’a eu aucun impact sur cette relation bilatérale.
Signé le 2 novembre 2010 par David Cameron et Nicolas Sarkozy, Lancaster House a permis de créer un cadre juridique et d’identifier des synergies. Cet accord traduit la volonté commune d’une coopération opérationnelle, d’une mutualisation des moyens et d’une rationalisation des capacités. Il a largement intensifié la coopération en matière de défense, de sécurité nationale et de politique extérieure.
UN PARTENARIAT À LONG TERME CONFIRMÉ EN 2023
Le dernier sommet franco-britannique s’est tenu à Paris en mars 2023. Il a confirmé la teneur de ce partenariat de long terme, mutuellement avantageux dans les domaines capacitaire, industriel, opérationnel, de dissuasion et de coopération internationale. Les deux pays y ont aussi exprimé l’ambition d’une intégration plus poussée de leurs forces armées en s’adaptant à l’environnement sécuritaire : meilleure coopération logistique en soutien aux opérations, échange de renseignement accru… Ce volontarisme se retrouve dans le renforcement de la coopération cyber, ainsi que dans la coordination des déploiements de leurs porte-avions pour assurer une présence européenne complémentaire et plus durable dans des régions d’intérêt commun.
Cette relation de défense repose donc sur trois piliers : un dialogue politico-militaire permanent, un pilier opérationnel et un pilier capacitaire.
Maintenant un dialogue stratégique soutenu, les deux pays se consultent régulièrement, et à tous les niveaux (experts, directeurs politiques, ministres, chefs d’État et de gouvernement) sur les problématiques sécuritaires. Leur coopération bilatérale connaît une forte dynamique grâce à l’implication d’un ensemble d’acteurs gouvernementaux, parlementaires, militaires et hauts fonctionnaires.
Sur le volet opérationnel, en 2010, Royaume-Uni et France se sont dotés d’une force expéditionnaire commune interarmées, la CJEF (Combined Joint Expeditionary Force). Réunissant des unités terrestres, aériennes et maritimes des deux pays, cette force est déployable sur les théâtres d’opérations dans un cadre bilatéral ou au sein d’une coalition lancée par l’ONU ou l’OTAN.
UNE COOPÉRATION RENFORCÉE SUR LES THÉÂTRES D’OPÉRATIONS
Les armées britannique et française opèrent conjointement sur plusieurs théâtres, dans l’espace Euro-Atlantique, notamment dans le cadre eFP (enhanced Forward Presence) en Estonie, au Levant au sein de la coalition internationale et en océan Indien au sein des Combined Maritime forces (CMF). L’état-major français, qui a pris le commandement de la Combined task force (CTF) 150 à Barheïn au second semestre 2023, accueille d’ailleurs des officiers britanniques. On peut relever aussi que le 501e régiment de Chars de combat de Mourmelon, jumelé avec le Royal Tank Regiment (régiment blindé de l’armée britannique), a assuré sous commandement des tankistes britanniques la mission Lynx en Estonie, au printemps dernier. De son côté, le 152e régiment d’infanterie de Colmar est binômé avec le 2e bataillon du Royal Anglian, régiment d’infanterie de l’armée britannique.
Dans le domaine capacitaire, le sommet de Brize-Norton du 31 janvier 2014 a permis la signature de nouveaux accords engageant immédiatement d’importants programmes de défense :
- Missiles : le programme FMAN/FMC (FC/ASW en anglais) vise à remplacer les missiles de croisière SCALP Storm Shadow (FR/UK) par les missiles anti-navire Harpoon (UK) et Exocet (FR) à l’horizon 2030. En parallèle, la coopération porte aussi sur le programme de missile anti-navire léger (ANL), la rénovation des missiles de croisière SCALP et Storm Shadow, les missiles Aster aux côtés de l’Italie et le missile METEOR avec l’Allemagne, l’Italie, la Suède et l’Espagne.
- Centres d’excellence partagée MBDA : en 2012, les deux États décident de créer des centres d’excellence partagés par les deux filiales française et britannique de MBDA, le groupe missilier franco-italo-britannique, afin de consolider leur expertise commune dans des domaines technologiques déterminés.
- Drones de guerre de mines navales : le projet de coopération dans la guerre des mines MMCM (Maritime Mine Counter Measures) couvre les enjeux opérationnels et le développement des savoir-faire industriels en matière de détection sous-marine et de robotique. Des prototypes ont été livrés aux marines en novembre 2020 et les premiers systèmes de série sont attendus d’ici la fin de l’année.
Généraliser les échanges d’officiers
Lors du sommet d’Amiens de 2016, les deux pays ont décidé de généraliser les échanges d’officiers, déjà nombreux depuis plusieurs années ; la viabilité à long terme de ce programme a été garantie lors du sommet de Paris, le 10 mars dernier. Depuis 2016, un général britannique est général adjoint de la 1ère division française, installée à Besançon, et un général français est général adjoint de la 1ère division britannique, basée à York.
Titulaire de ce dernier poste de 2021 à 2023, le général de brigade Jean Laurentin raconte que cela lui a permis de revenir sur une idée préconçue : « Je suis arrivé à l’état-major de la 1UKDIV avec une vision assez déformée de l’Army, en particulier celle d’une armée où les officiers étaient éloignés de leurs soldats et les sous-officiers commandaient directement les sections », témoigne celui qui a pris depuis le commandement en second des Forces spéciales Terre françaises. « En visitant et inspectant les unités de la division (pour mémoire, lorsque je suis arrivé en août 2021, la 1UKDIV comportait 9 brigades et 98 régiments et bataillons d’active et de réserve), j’ai très rapidement compris que ma vision était fausse : comme dans notre armée de Terre, les officiers sont au contact de leurs soldats et s’appuient sur un corps de sous-officiers de très grande qualité, qui constitue la colonne vertébrale de l’Army. »
Au niveau de l’état-major d’une division, le général a découvert « une approche différente » : « La méthode britannique de planification et préparation des ordres est « Command led » c’est-à-dire que c’est le général qui oriente très rapidement son état-major, alors que la méthode française est davantage « Staff led », permettant au général de choisir entre plusieurs options préparées par son équipe. »
Après deux ans d’immersion, le général Laurentin constate que « les deux armées sont très proches, partagent les mêmes valeurs, la même culture et la même combativité et ont tout intérêt à continuer à travailler main dans la main, en frères d’arme ». À titre individuel, il juge que « c’est une chance extraordinaire pour un officier général français d’être inséré dans une armée amie, sur un poste à haute responsabilité, avec les mêmes prérogatives qu’un général britannique ». Le brigadier britannique Jon Cresswell, actuellement général adjoint de la 1ère division française à Besançon, a aussi livré son témoignage pour l’IHEDN.
Le rôle de l’IHEDN dans l’établissement d’une culture de défense commune
Une autre forme d’échange d’officiers existe entre les deux pays, au niveau hiérarchique tout juste inférieur : chaque année, un colonel britannique suit le cursus du Centre hautes études militaires (CHEM), en compagnie de ses homologues français et d’autres armées alliées. Les étudiants du CHEM sont aussi membres de droit de la majeure Politiques de défense de la session nationale de l’IHEDN : « Alors que les relations bilatérales entre nos ministères, nos établissements universitaires et nos hauts responsables des secteurs public et privé restent solides, il n’existe pas d’équivalent direct de l’IHEDN au Royaume-Uni », relève le colonel Carsten Duke, qui a suivi en 2022-23 le cursus CHEM-IHEDN, et poursuit depuis ses études à la Defence Academy de Shrivenham. « L’IHEDN représente donc une opportunité incroyable d’approfondir la compréhension militaire et civile à travers un spectre extrêmement diversifié de domaines professionnels. »
Pour l’officier britannique, ces échanges sont précieux dans la cohésion entre les deux armées et, plus largement, les deux pays : « Les profonds liens personnels noués pendant l’IHEDN et un réseau actif d’anciens étudiants ont eu un impact direct et positif sur l’interaction entre le Royaume-Uni et la France, qu’il s’agisse de questions d’importance stratégique nationale ou, plus important encore, de rugby. Si je pouvais redoubler l’année, je le ferais ! Vive l’IHEDN ! »