Le docteur Kévin Limonier, maître de conférences en études slaves et géopolitique à Paris VIII, spécialiste du cyberespace russophone et directeur adjoint de Geode, explique “comment la Russie manipule les routes de l’Internet” afin de prolonger son contrôle territorial.
Car il ne s’agit pas seulement de cyberattaques classiques, du type destruction d’infrastructures, mais aussi de manœuvres cybernétiques plus larges. Depuis 2014, avec l’annexion de la Crimée, “la Russie est le premier pays du monde qui a pensé la manipulation de l’architecture de l’Internet à des fins stratégiques et géopolitiques dans un contexte de contrôle et d’occupation territoriale à l’extérieur de ses frontières”, en déconnectant les systèmes autonomes de Crimée de ceux de l’Ukraine, pour les reconnecter ensuite avec la Russie.
Elle poursuit donc cette stratégie en Ukraine. Depuis février 2022 et la censure des canaux non alignés sur la position du régime russe, ces appropriations des réseaux commencent à avoir un effet concret sur la population : “Si vous êtes aujourd’hui dans un territoire occupé par l’armée russe, vous êtes de fait placé de l’autre côté des grands postes-frontière numériques que les Russes sont en train de construire pour filtrer absolument tout ce qui entre et sort de leurs réseaux.” Mais cette bataille numérique est aussi une priorité pour l’Ukraine : quand Kherson a été libérée, des ingénieurs sont immédiatement venus rerouter le réseau Internet vers Kiev.