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Les chars de combat, une arme indispensable depuis plus d’un siècle

Des tranchées de la Première Guerre mondiale jusqu’au futur char franco-allemand MGCS, retour sur quelques moments marquants de l’histoire des « tanks », acteurs majeurs des champs de bataille depuis 1916.
Les chars de combat, une arme indispensable depuis plus d’un siècle

Pour illustrer le premier des quatre cercles du périmètre de la défense nationale, celui de la défense militaire, Athéna a choisi cette semaine de raconter l’épopée d’un équipement indissociable de l’imaginaire de la guerre depuis 107 ans : le char de combat.

1916 : LES PREMIERS CHARS SÈMENT LA TERREUR DANS LES LIGNES ALLEMANDES

Au début du XVIème siècle, Léonard de Vinci dessinait déjà des prototypes de chars. Au début du XXème, l’état-major français, préférant la traction hippomobile, refusait le projet du capitaine d’artillerie Léon Levavasseur, le premier de l’Histoire à combiner blindage, canon et traction à chenilles. Il faut donc attendre le déclenchement d’une guerre mondiale pour que les premiers chars de combat réalisent enfin un rêve presque aussi vieux que la guerre : pouvoir progresser sous le feu ennemi tout en tirant et en restant protégé. Au milieu du conflit, leur arrivée dans les tranchées allemandes est fracassante. Ces engins pionniers, les Mark I, sont britanniques et garderont le nom de « tanks » (réservoirs) puisque leurs créateurs avaient maquillé leur conception ultrasecrète en simple projet de citernes d’eau autotractées destinées à servir en Mésopotamie. Rejeté par le ministre de la Guerre, lord Kitchener, le programme avait vu le jour grâce à l’insistance du Premier lord de l’Amirauté, Winston Churchill.

Affichant plus de 28 tonnes sur la balance, abritant huit soldats sous sa carapace blindée de près de 10 m de long sur 4 de large et 2,4 de haut, armé de deux canons de 57 mm Hotchkiss, le Mark I n’est pas forcément un succès tactique lors de son premier engagement, le 15 septembre 1916, dans la bataille de Flers-Courcelette, un des épisodes de la bataille de la Somme. Sur les 49 chars engagés, seuls 9 parviennent à leurs objectifs. Mais les dégâts que causent ces derniers sont importants et, surtout, ils sèment la panique dans les tranchées ennemies.

« UN CROCODILE RAMPE À L’INTÉRIEUR DE NOS LIGNES ! »

Dans « Soldats de France » (le magazine de la Chaire de tactique générale et d’histoire militaire de l’armée de Terre)[1], l’historien François Cochet cite un édifiant témoignage[2] sur la réaction des soldats allemands face à un Mark I, au sud de Courcelette : « Un homme arriva en courant à gauche : “Il y a un crocodile qui rampe à l’intérieur de nos lignes !” Le malheureux avait perdu la tête. Il venait de voir un char pour la première fois et avait assimilé à un monstre cet énorme engin se cabrant et basculant. L’ennemi avait amené un char dans nos lignes, nouvel engin de combat, dont nous n’avions pas soupçonné l’existence et contre lequel nous n’avions pas de parade. Tirer au fusil dessus revenait à tirer à la sarbacane. » Commentaire du professeur Cochet : « Un choc matériel et psychologique particulièrement impressionnant et terrifiant. »

Côté français, depuis le début de la guerre en 1914, le comité général d’artillerie a finalement compris que le projet Levavasseur de 1903 pouvait avoir son utilité. Le char Schneider CA1 sera le

premier blindé engagé sous pavillon tricolore, le 16 avril 1917 pour l’offensive du Chemin des Dames, avec un succès tactique mitigé mais, là encore, un impact psychologique important. Il faudra attendre le fameux char Renault FT, lancé au combat fin mai 1918 pendant la troisième bataille de l’Aisne, pour que naissent véritablement les premières formes de « guerre blindée ». La tourelle de canon pivotante à 360° du « char de la victoire » sera reprise ensuite par tous les tanks, et près de 4000 exemplaires équiperont une trentaine de pays du monde entier jusqu’en 1949.

[1] Numéro 19, printemps 2023, p. 10.

[2] Extrait de : Trevor Pidgeon, The Tanks at Flers, Fairmile Books, 1995, cité par Henri Ortholan, La guerre des chars, 1916-1918, Bernard Giovanangeli éditeur, 2007.

SECONDE GUERRE MONDIALE : À CHACUN SON RÔLE

Pendant l’entre-deux-guerres, les différentes puissances se lancent dans le développement de chars chacun dédié à un rôle différent, qui sont lancés sur les champs de bataille de la Deuxième Guerre mondiale :

  • Char léger: son poids de moins de 10 tonnes et son blindage plutôt fin (10 mm) le rendent très rapide, autour de 40 km/h. Il est donc assigné à des missions de reconnaissance ou de poursuite, comme les tanks allemands Panzer I et II déployés lors de la Blitzkrieg (la guerre éclair) au début du conflit. Côté français, les Hotchkiss 35 (puis 38 et 39) servent jusqu’à la défaite de 1940.
  • Char moyen: d’un poids de 10 à 20 tonnes, blindage de 30 mm, il progresse à moins de 30 km/h, ce qui en fait un char polyvalent ; les M3 Lee ou Grant et M4 Sherman américains, les Panzer IV et V allemands et le T34 soviétique en sont les exemples les plus connus. Améliorés tout au long du conflit, ils seront progressivement éclipsés après la guerre par l’émergence du concept de char de combat principal.
  • Char d’infanterie: d’une puissance de feu importante, épaissement blindé, il est lourd et lent et se trouve progressivement dépassé par les tanks plus modernes et l’artillerie antichar au fil du conflit, même si les Churchill ou Valentine britanniques, ou le T26 soviétique (12 000 exemplaires !) ont marqué les esprits.
  • Char lourd: descendant direct des chars du premier conflit mondial, lourd de plus de 20 tonnes, notamment en raison de son blindage plus épais, il est fatalement plus lent, mais très efficace pour détruire des chars plus légers et des fortifications. Le mastodonte français FCM-2C, qualifié de « super-lourd » avec ses 68 tonnes et son équipage de 12 soldats, restera l’un des plus impressionnants… mais ne sera jamais vraiment utilisé, sa dizaine d’exemplaires étant bombardés ou bloqués puis sabordés pendant la bataille de France, en 1939-40.
  • Char de rupture: supposé apporter la victoire par sa simple présence sur le champ de bataille, il est doté d’une grosse puissance de feu et d’un blindage épais. Le soviétique KV-1, construit à près de 3000 exemplaires, s’est montré très efficace pendant le conflit. Le char super lourd de rupture français FCM F1, une « forteresse » de 139 tonnes, 10 m de long sur 3 de large et un blindage de 120 mm, conçu pour percer la ligne Siegfried, restera limité à un seul prototype en raison de la défaite de 1940.
  • Char rapide (ou de cavalerie) : appelé cruiser tank par les Britanniques qui l’ont conçu, il constitue la véritable innovation en matière de chars au début de la Seconde Guerre mondiale. Destiné à opérer indépendamment des chars d’infanterie et des chars de rupture, car plus agile et rapide, il se retrouve finalement rattrapé, au fil du conflit, par le gain de vitesse de tanks plus lourds et mieux blindés. Mais ce concept sera inspirant pour la génération suivante de chars : le char de combat principal. Exemples : Covenanter, Cruisader, Comet, Centurion…

APRÈS-GUERRE ET AUJOURD’HUI : LE CHAR DE COMBAT PRINCIPAL, TYPE LECLERC

Principale leçon de la Seconde Guerre mondiale en matière de chars : les tanks à mission spécifique se sont souvent trouvés impuissants dans des situations de bataille pour lesquelles ils n’étaient pas conçus. Au début de la Guerre froide, les principales puissances en arrivent donc à la même conclusion, et fusionnent les concepts de char de rupture, char d’infanterie, char rapide et chasseur de chars (un véhicule de lutte antichar) en un seul : le char de combat principal, ou char de bataille principal, ou encore char universel. Il s’agit de combiner un blindage épais, une vitesse rapide et une importante puissance de feu : solidité, vélocité, agressivité.

Le Centurion britannique, entré en service en 1946, est le premier du genre. À l’aube des années 1970, la plupart des armées en sont équipées. En novembre 1990, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) définit le char de bataille de la manière suivante, dans son traité sur les forces armées conventionnelles en Europe :

« Le terme “char de bataille” signifie un véhicule blindé de combat automoteur, qui est doté d’une grande puissance de feu, obtenue essentiellement par un canon principal à tir direct à grande vitesse initiale, nécessaire pour prendre à partie des objectifs blindés et autres, qui possède une grande mobilité tout terrain, qui assure un degré élevé d’autoprotection, et qui n’est ni conçu ni équipé au premier chef pour transporter des troupes de combat. De tels véhicules blindés sont utilisés comme système d’arme principal des formations de chars et des autres formations blindées des forces terrestres. Les chars de bataille sont des véhicules blindés de combat à chenilles qui ont un poids à vide d’au moins 16,5 tonnes et qui sont armés d’un canon d’un calibre d’au moins 75 millimètres pouvant tourner sur 360 degrés. En outre, tout véhicule blindé de combat à roues mis en service et répondant à tous les autres critères susmentionnés est également considéré comme un char de bataille. »

LE LECLERC ATTEINT DES CIBLES MOUVANTES EN ROULANT

Depuis 1946, plusieurs dizaines de modèles ont été conçus par une vingtaine de pays. Dans les années 60, la deuxième génération inclut des protections contre les armes nucléaires, bactériologiques et chimiques ; la troisième, arrivée dans les années 1970 et toujours en service aujourd’hui, ajoute progressivement des systèmes de visée numérique améliorant la capacité à tirer, des blindages composites et de l’imagerie thermique.

Le char français Leclerc entre dans cette catégorie. Successeur de l’AMX-30, grand succès de l’industrie hexagonale toujours utilisé par quelques pays, le Leclerc s’est beaucoup moins exporté, en raison d’un développement trop tardif par rapport à ses concurrents : à part la France, seuls les Émirats arabes unis et la Jordanie l’utilisent. En comparaison, le Leopard 2 allemand sert dans 23 pays.

Conçu par Nexter (ex-GIAT Industries), entré en service en 1993, le Leclerc est aujourd’hui le seul en dotation dans l’armée française, avec 220 exemplaires opérationnels actuellement. D’une longueur de 6,9 m et d’un poids de 54 à 57 tonnes selon les versions, il atteint 70 km/h sur route, 60 km/h sur terre et, malgré son poids, 32 km/h en moins de 5 secondes. Le système de chargement automatique de munitions de son canon de 120 mm lui permet de se contenter d’un équipage de 3 soldats (chef de char, conducteur et opérateur en tourelle), contre 4 dans les autres chars. Sa capacité à charger, mais aussi à tirer en roulant sur cible fixe ou mouvante jusqu’à 4000 m est unique par rapport à ses rivaux. En résumé, le Leclerc allie rapidité, mobilité et précision, ce qui en fait l’un des meilleurs chars du monde actuellement.

Plus fabriqué depuis 2008 mais prévu pour servir jusqu’en 2040, il est actuellement modernisé (version « XLR ») afin de s’intégrer dans le système de combat numérisé Scorpion. Les premiers engins XLR sont attendus à la fin de l’année.

HORIZON 2040 : LE MGCS, PROJET FRANCO-ALLEMAND À GESTATION COMPLEXE

En 2017, la France et l’Allemagne ont officiellement annoncé lancer le développement du Système de combat principal terrestre, plus connu sous l’acronyme anglais MGCS (pour Main Ground Combat System). Prévu pour succéder aux Leclerc et Leopard 2 vers 2035-2040, ce char « augmenté » devrait notamment utiliser l’intelligence artificielle et les nano-technologies pour s’intégrer dans le programme Titan (successeur du Scorpion) avec d’autres engins aériens ou terrestres, tout en emportant potentiellement des robots ou des drones.

« Devrait », car depuis 2017, le programme connait quelques déconvenues. Initialement porté à 50/50 par Nexter et son homologue allemand Krauss-Maffei-Wegmann (KMW) au sein de la co-entreprise KNDS, il a vu depuis 2019 un troisième opérateur s’inviter dans le poste de pilotage, l’autre industriel allemand Rheinmetall. Chaque entreprise gère donc désormais un tiers du programme, l’Allemagne en ayant la direction politique.

Depuis, les signes négatifs s’accumulent : le ministère allemand de la Défense a fait part cette année de son intention de commander des Leopard 2A8, dernière version du best-seller de KMW, pour remplacer des chars donnés à l’Ukraine. Et Rheinmetall, en parallèle, pousse son KF-51 Panther, pendant que ses dirigeants semblent jouer contre le programme MGCS…

Qu’à cela ne tienne : côté politique, les deux pays maintiennent leur ferme intention de mener le projet à terme. Le 10 juillet à Berlin, lors d’une conférence de presse commune avec son homologue allemand Boris Pistorius, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a déclaré à propos du MGCS : « On veut le faire. Et on ne le fait pas que pour des raisons industrielles. On a besoin de définir un avenir à ce segment d’équipement militaire. »