Actuel commandant en second du Centre national d’entraînement commando – 1er Régiment de choc, le lieutenant-colonel Paul Sédivy était jusqu’à l’été 2024 chef de la cellule d’études et prospective du Centre d’entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB – 94e Régiment d’infanterie). Après son article paru dans la Revue militaire générale (RMG N°59, juin 2024) du Commandement du combat futur, il répond à nos questions pour prolonger notre article.
POURQUOI LE COMBAT URBAIN PEUT-IL ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME LE LABORATOIRE DU CONFLIT DE HAUTE INTENSITÉ ?
Rappelons d’abord que, si l’on considère le conflit de haute intensité comme la forme de référence du combat moderne, le terrain de la zone urbaine peut quant à lui être vu sous l’angle de la géographie comme un champ de bataille le plus probable à l’avenir. En effet, on estime que la moitié de la population mondiale sera regroupée dans les villes d’ici 2050, concentrant avec elle les points d’intérêts vitaux sur les plans politique, économique, sanitaire, sécuritaire et informationnel, autant de champs d’affrontement.
Considérons ensuite l’actualité récente. Dans le cadre de la haute intensité, le conflit dissymétrique en Ukraine montre que la ville a retrouvé un rôle d’objectif symbolique afin de sidérer une nation (bataille de Kiev – aéroport d’Hostomel le 24 février 2022) ou opératif pour amener la rupture d’une ligne de front (Kharkiv, Marioupol, Bakhmout, Robotyne). Les conflits asymétriques ne sont pas en reste, comme l’attestent les opérations dans la bande de Gaza. En effet, depuis l’opération « Plomb durci » menée par Tsahal en 2009, la supériorité aérienne ne suffit plus à terrasser l’adversaire sans empreinte au sol. Et la démocratisation de nouvelles technologies, comme les drones, ne fait que renforcer ce phénomène en facilitant l’hybridation. C’est pourquoi la ville constitue sans doute aujourd’hui le dernier « clair-obscur » dans lequel peuvent s’exprimer les conflictualités. Presque tous les domaines sont bousculés, y compris le droit comme le montre l’opération « Mer d’Atlantide » à Gaza.
En réalité, le combat urbain représente probablement une forme de laboratoire de la haute intensité parce qu’il utilise comme champs de bataille aussi bien le milieu physique que les champs immatériels, ce qui l’ancre dans la modernité d’une dialectique « compétition-contestation-affrontement ». En effet, les impacts produits sur le champ de bataille des conflits de haute intensité modernes sont aussi bien à chercher dans les actions sous le seuil de conflictualité que dans l’hybridation des moyens.
« UN ENVIRONNEMENT HÉTÉROGÈNE, DIFFICILE, RUGUEUX ET CLOISONNÉ »
Surtout, la zone urbaine présente des particularités qui continuent de mettre à l’épreuve la pensée moderne et les nouvelles technologies. Cet espace tridimensionnel, incertain et complexe, complique toute l’organisation des opérations et requiert l’endurance physique et morale consubstantielle de la haute intensité. Dans cet environnement hétérogène, difficile, rugueux et cloisonné, où la désorganisation du terrain consécutive au combat amplifie les obstacles opposés à l’observation, au mouvement et à la communication, la menace d’un engluement est permanente.
Par ses proportions et sa structure d’une part, par ses réseaux matériels et immatériels et son volume de population d’autre part, le combat urbain concentre les conditions de la haute intensité incarnées par la concentration et l’intrication géographiques. En outre, l’importance de la robustesse de la logistique dans les conflits modernes de haute intensité est significative. Le passage en économie de guerre doit pallier les surconsommations en ressources. La zone urbaine constitue un défi logistique en bout de chaîne d’acheminement dont la finalité est de l’emporter sur le front de micro-théâtres.
Aussi, si l’état de confusion singularise le milieu terrestre, la ville exacerbe ce phénomène. Dans un contexte en évolution constante et rapide, choisir la ville comme champ d’affrontement oblige à une approche globale par un engagement souvent durable au cœur des populations, aux côtés de forces partenaires, face à de multiples menaces, conventionnelles ou hybrides.
POURQUOI LE RÔLE DE LA SURPRISE EST-IL ENCORE PLUS IMPORTANT EN ZONE URBAINE ? POUVEZ-VOUS DONNER UN EXEMPLE ?
La place prépondérante en ville des effets dans les champs immatériels liée au développement des réseaux, de la numérisation et de l’intelligence artificielle, confère à la surprise un rôle clef. Celle-ci relève principalement des opérations de déception entendue, selon la définition courante, comme un « effet résultant de mesures visant à tromper l’adversaire en l’amenant à une fausse interprétation des attitudes amies en vue de l’inciter à réagir d’une manière préjudiciable à ses propres intérêts et de réduire ses capacités de riposte. La déception comprend la dissimulation, la diversion et l’intoxication ».
Dans ce but, une opération de déception combine des actions planifiées et coordonnées destinées à placer l’adversaire devant un dilemme tactique. Il s’agit de le fixer physiquement et psychologiquement dans une zone qui n’est pas celle de l’effort ami, pour le frapper alors que son cycle décisionnel est perturbé. Toutefois, son intérêt réside également dans l’effet produit sur le moral d’un adversaire. Cependant, cette action ne se limite pas à faire penser l’adversaire d’une certaine manière, mais aussi à le faire agir et il existe toujours un risque pour que la réaction adverse soit contraire à celle escomptée.
La capacité instantanée de la force à conduire une opération de déception peut être mesurée à partir de la capacité opérationnelle à un instant T retranchée du volume de force à consacré à l’élément réservé (niveau tactique minimum de N-1).
On peut considérer que le volume de force à consacrer à une mission de déception correspond à un volume de force de niveau tactique N-1.
Je ne possède pas suffisamment de sources documentaires pour calquer ces principes généraux aux affrontements récents qui ont fait l’actualité. Deux exemples me paraissent cependant intéressants à étudier sous cet angle. Ils illustrent deux emplois différents de la surprise associée à la zone urbaine.
D’une part une combinaison assez classique : l’attaque du 7 octobre 2023 menée par le Hamas contre l’État d’Israël. Elle suppose très certainement une capacité à user de toutes les composantes de la déception pour créer la surprise tout en appliquant le principe de volume de forces consenties et de capacité de subsidiarité dans la phase d’exploitation. Elle met à profit les différentes strates de la ville et cible prioritairement la population civile. Elle agit ainsi d’emblée sur les forces morales israéliennes tout en rendant incontournable l’exploitation médiatique des représailles israéliennes.
D’autre part une combinaison à plusieurs focales : l’offensive ukrainienne lancée le 6 août 2024 dans l’oblast frontalier de Koursk. Celle-ci représente une surprise stratégique qui repose certainement sur un usage tactique des zones urbaines et périurbaines visant à placer l’adversaire devant un dilemme répété à chaque agglomération. Il s’agit pour chaque localité de choisir si elle doit :
- être contournée pour préserver le potentiel et le rythme d’une manœuvre de reconquête ;
- être isolée par la mise en place d’un bouclage (siège) qui doit suffire à geler la situation localement et éventuellement créer les conditions d’une reconquête ;
- être défendue afin de créer un point de fixation capable de générer une usure ;
- être conquise, en tant que lieu de pouvoir et de richesse ou pour sa nature tactique ou symbolique, le nom de Koursk résonnant dans le narratif du pouvoir russe en place.
EN QUOI LA PRÉSENCE DE LA POPULATION CHANGE-T-ELLE LA NATURE DU COMBAT, EN COMPARAISON AVEC UN MILIEU OUVERT ?
La zone urbaine se singularise par une concentration des activités humaines qui ne fait que s’accroître au XXIe siècle. Depuis 2007, la part de population vivant en environnement urbain a dépassé celle des résidents en zone rurale à l’échelle du globe.
La présence d’une population civile résiduelle est à considérer comme toujours avérée dans une ville. Elle constitue de ce fait un enjeu, en particulier sanitaire, mais également un risque de mise en échec de l’action, notamment en termes juridiques, d’influence et de légitimité. En effet, dans le cas d’une foule, cette population peut représenter un obstacle par sa simple présence et son inertie, voire une menace. De plus, le comportement de cette foule peut être récupéré, manipulé et exploité par les adversaires en raison de son caractère irrationnel et imprévisible, ainsi que son émotivité. Les formes d’action d’une foule hostile peuvent être par exemple des agressions et intimidations, des manifestations et barrages, des boucliers humains, la protection ou la dissimulation des adversaires. Dès lors, la présence de population influence la nature et le nombre de champs de confrontation à disposition des belligérants.
La ville cumule les vulnérabilités qui sont autant de facteurs de déstabilisation. L’interaction des activités humaines, le nombre et la complexité des réseaux sociaux, la précarité des services publics rendent la ville très vulnérable et son organisation très instable. Tout engagement militaire entame plus ou moins profondément le système fonctionnel d’ensemble de la cité et entraîne des conséquences sur les équilibres économiques, sociaux et sanitaires, sécuritaires et politiques. Il s’agit donc de préserver autant que possible les services de première nécessité et les infrastructures pour ne pas contraindre l’engagement militaire aussi bien dans sa manœuvre que dans sa légitimité. Un retour rapide à la normale de la vie de la cité permet de ne pas se limiter à la seule victoire tactique qui porte en soi les germes d’une impasse stratégique et opérative. Certains types d’habitats synthétisent l’ensemble de ces vulnérabilités. C’est le cas de l’habitat informel, de type bidonville, en forte expansion au niveau mondial et qui représente une extension inévitable de la zone urbaine.
UNE « CAISSE DE RÉSONNANCE OPÉRATIVE ET MÉDIATIQUE »
En outre, la distribution de données en masse et leur amplification par la connectivité croissante des objets et des personnes produisent un chaos opérationnel. L’interconnexion de groupes humains et d’organisations entremêlés représente donc un défi cognitif. De plus, la domination technique tend à devenir relative dans les champs informationnel et cybernétique. Dans ce contexte, le rôle de caisse de résonnance opérative et médiatique de la zone urbaine est renforcé. Son contrôle comme sa contestation représentent des objectifs prioritaires pour la compétition dans le champ des perceptions. Ce phénomène est facilité par la présence de population en ville en tant qu’auditoire cible et amplifié par la mondialisation des rapports entre sociétés, la densification des flux humains et l’expansion des champs matériels et immatériels qui conduisent à une contraction des espaces. De fait, si la mobilité matérielle permet de se mouvoir dans et à proximité de la ville, la mobilité immatérielle permet la connexion des acteurs de la ville, en temps réel avec le monde, donc bien au-delà des enceintes de la cité.
Par ailleurs, la présence de population génère des risques particuliers, comme la menace NRBC et la menace cyber. En effet, l’environnement urbain concentre un grand nombre d’infrastructures industrielles, technologiques, commerciales ou hospitalières ainsi que de nombreux réseaux d’approvisionnement qui peuvent être source de risques et menaces radiologique, biologique ou chimique (RBC).
Ces risques et menaces peuvent trouver leurs origines dans une cause accidentelle (risque) ou malveillante (menace). La densité des installations RBC couplée à une forte concentration des unités et de la population augmente le danger en offrant des cibles privilégiées et faciles d’atteinte. L’association des risques et menaces NRBC et des spécificités de la zone urbaine peut entraîner des conséquences graves pour la manœuvre qu’il convient de prendre en compte dès la phase de planification. En outre, l’installation de réseaux de télécommunication hertzienne, la généralisation en cours de la fibre optique et le développement de la connectique par ajout de capteurs contribuent à connecter de plus en plus de systèmes collectifs et de constructions par Internet. L’innovation électronique en espace urbain connaît un fort développement dont les applications sont toujours plus vastes. La connectique s’applique d’ores et déjà au quotidien à de nombreux domaines critiques dans le bon fonctionnement d’une ville :
- Gestion des réseaux d’infrastructures électriques, de distribution d’eau, de régulation du trafic urbain ;
- Cartographie et localisation en temps réel des activités humaines ;
- Pilotage à distance des réseaux de chauffage, d’électricité ou des systèmes de sécurité.
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Le détournement de ces moyens peut aussi bien permettre la collecte de renseignement (détection, surveillance, reconnaissance) que la déstabilisation des services de l’État et des collectivités. La compromission de ces réseaux constitue un moyen d’attenter à distance et sous le seuil de conflictualité aux besoins essentiels de la population. Ceci permet de produire in fine sans trop s’exposer des effets physiques, cognitifs et émotionnels concourants à la prise d’ascendant.
QUELLES LEÇONS PEUT-ON TIRER DES PLUS RÉCENTES BATAILLES EN ZONES URBAINES, EN UKRAINE OU À GAZA ?
Les batailles urbaines récentes confirment la désinhibition des belligérants et l’hybridation des moyens.
Elles font pourtant encore la démonstration que les principes de l’action en zone urbaine adoptés par notre armée restent crédibles :
Dans ce cadre, les nouveaux instruments issus des avancées technologiques ne représentent pas des modes d’action innovants, mais des moyens inédits mis à disposition du chef tactique pour produire des effets inchangés dans des champs d’affrontement supplémentaires.
Toutefois, le contexte d’hybridation et de désinhibition des belligérants questionne l’interprétation du droit comme nouveau champ d’action pour pallier la contrainte liée aux très importantes pertes en zone urbaine. L’opération « Mer d’Atlantide » menée par Tsahal dans la bande de Gaza a démontré que des évolutions sont très certainement à venir au sein des armées occidentales. Des traités visant à humaniser le conflit armé pourraient être dénoncés.
ÉLECTROMAGNÉTIQUE, CYBER, IA, DRONISATION, IMPRESSION 3D… COMMENT L’ÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE POURRAIT-ELLE IMPACTER LE COMBAT EN ZONE URBAINE DANS UN FUTUR PROCHE ?
La zone urbaine constitue un espace de manœuvre incertain, disputé, cloisonné, très rapidement encombré et abrasif exerçant un effet égalisateur entre les combattants. À ce titre, elle représente sans doute le champ de bataille permettant à la tactique de s’exprimer face à l’hyper technologie.
Celle-ci ne produit pourtant pas encore l’avantage tactique suffisant pour surclasser l’adversaire tout en préservant la masse de manœuvre, y compris dans la dialectique des volontés qui caractérise l’hypothèse d’un engagement majeur (HEM). L’intelligence artificielle (IA), par exemple, ne permet pas à ce jour de dépasser les capacités cognitives du combattant débarqué et de sa chaîne de commandement. Sur le plan physique, les dispositifs tels que les exosquelettes manquent encore de maturité pour décupler efficacement les capacités individuelles du combattant débarqué. Toutefois, en exposant les vecteurs plutôt que les opérateurs, la technologie doit permettre une répétition des engagements de contact tout en préservant la matrice humaine des unités de combat. Ce faisant, elle valorise le rôle du combattant en générant des effets d’ubiquité et de persistance qui améliorent le contrôle continu du milieu.
Dans ce cadre, l’ubiquité s’entend comme présence déportée sur le champ de bataille permettant d’accéder à tous les compartiments de la zone urbaine et de mieux contribuer à la transparence du champ de bataille. La persistance se définit pour sa part comme une capacité à continuer d’agir dans la durée, de façon continue (auquel cas on lui préfèrera le terme de permanence) ou discontinue. Cette omniprésence à la fois dans l’espace et dans le temps permise par les systèmes automatisés contribue à la liberté d’action, à l’économie des forces et à la concentration des efforts.
L’HYPER TECHNOLOGIE GENÈRE DES EFFETS D’UBIQUITÉ
Le combat urbain suppose une liberté de mouvement. Or, les effets des armes en tirs directs et indirects sont responsables de la génération rapide et durable d’obstacles qui entravent fortement la manœuvre en ville. Gravas, cratères d’obus et autres structures métalliques abattues et déchiquetées sont autant d’obstacles qui facilitent de manière opportuniste la canalisation et la soustraction. Pour le chef tactique, il s’agit alors autant de s’affranchir du façonnage exercé par l’adversaire que d’atteindre ses points d’articulation par des cheminements inédits. C’est pourquoi la robotique terrestre doit par exemple permettre au combattant débarqué de pénétrer un espace de manœuvre tridimensionnel superposant en plusieurs strates (niveau du sol, réseaux souterrains et étagements verticaux) des infrastructures qui abritent une menace multiple, omnidirectionnelle et d’intensité variable.
Pour évoluer dans cet environnement chaotique, les engins chenillés ou à roues peuvent s’avérer inadaptés ou insuffisants. Des robots biomimétiques (inspirés du monde animal) proposent des modes de déplacements alternatifs intéressants comme la reptation ou la quadrupédie, donnant accès à des espaces d’engagement jusqu’à présent difficilement accessibles. Ils constituent un atout pour explorer et occuper, par exemple, des zones ruinées ou des espaces souterrains propices au camouflage, à la protection, à la furtivité et en définitive à la surprise, facteur de supériorité opérationnelle déterminant en zone urbaine. En agissant dans ce nouvel espace inattendu, et combiné à d’autres actions coordonnées, le robot fixe l’ennemi, physiquement et psychologiquement, en raison du dilemme tactique qu’il lui impose sur le choix de sa zone d’effort. Il rompt ainsi son cycle décisionnel et atteint sa force morale.
Les gains obtenus par l’intégration de systèmes automatisés ne se limitent pas à la mobilité. Les robots, associés à des capteurs spécifiques, offrent des opportunités substantielles dans la compréhension de l’environnement tactique. Ainsi, des technologies comme l’électrolocation, présente à l’état naturel chez certaines espèces de poissons, sont capables de scanner un environnement où la plupart des capteurs (de pression, accéléromètres) sont insuffisants en générant un champ électrique périphérique indétectable (à la différence de radars ou de sonars) réagissant au moindre changement d’état. Autres sources d’inspiration biorobotique, les yeux de mouches, véritables atouts pour la gestion des trajectoires et l’évitement d’obstacles, ou les poils sensitifs percevant les mouvements les plus infimes, proposent des perspectives innovantes pour la collecte à distance de renseignement dans des espaces tridimensionnels parfois difficiles d’accès.
« PRÉPARER LA CONQUÊTE DE LA VILLE SOUS LE SEUIL DE CONFLICTUALITÉ »
En outre, le développement d’une capacité de connexion aux réseaux urbains de la robotique terrestre doit pouvoir contribuer à préparer la conquête de la ville sous le seuil de conflictualité en ciblant les équilibres de la cité (services d’approvisionnement, de santé, de sécurité, de communication). L’installation de réseaux de télécommunication hertzienne, la généralisation en cours de la fibre optique et le développement de la connectique par ajout de capteurs contribuent à connecter de plus en plus de systèmes collectifs et de constructions par Internet. L’innovation électronique en environnement urbain connaît un fort développement dont les applications sont toujours plus vastes. La connectique s’applique d’ores et déjà au quotidien à de nombreux domaines critiques dans le bon fonctionnement d’une ville, de la gestion des réseaux d’infrastructures électriques, de distribution d’eau, de régulation du trafic urbain, en passant par la cartographie et la localisation en temps réel des activités humaines, jusqu’au pilotage à distance des réseaux de chauffage, d’électricité ou des systèmes de sécurité. Le détournement de ces moyens peut aussi bien permettre la collecte de renseignement (détection, surveillance, reconnaissance) que la coercition.
Le recours aux systèmes robotisés apporte également une solution à la recherche d’effet de masse nécessaire à la conquête d’un rapport de force favorable, plus particulièrement en zone urbaine. Les robots démultiplient les capacités de la force en se substituant à l’homme, en complétant son action, en le préservant du contact ennemi. Si leur emploi sur des fonctions d’investigation, de déminage ou de soutien logistique (allègement) est désormais bien connu, les effets offensifs de saturation, de sidération, de harcèlement ciblés, maximisés par un engagement en essaim font l’objet d’importants investissements en développement.
Enfin, le déploiement par la robotique terrestre d’un maillage permettant le relais des signaux de transmission, l’utilisation des réseaux de communications des infrastructures urbaines existantes garantit la maîtrise de l’espace électromagnétique et contribue à la conquête de la supériorité au niveau microtactique. Dans un environnement où la verticalité des constructions, l’épaisseur des matériaux de construction, le resserrement des bâtiments perturbent la propagation des ondes électromagnétiques, ce maillage préserve les liaisons, facilite l’emploi d’essaims automatisés, tout comme il permet la contestation des moyens de commandement et de liaison dans le champ électromagnétique et l’intégration d’une capacité de guerre électronique de contact. Il ne s’agit pas uniquement de paralyser la capacité à communiquer, mais également de localiser les activités électromagnétiques qui peuvent être mises en cohérence par l’analyse avec une posture et une intention de l’adversaire, c’est-à -dire lire son action. Cette démarche renforce la protection dans les espaces resserrés et confinés de la ville qui réduisent les distances d’engagement, les délais d’analyse et les temps de réaction et augmente d’autant le stress des combattants. Les moyens d’observation, de surveillance et de leurrage de la robotique terrestre, y compris dans les autres spectres que le visible, peuvent alors être couplés aux moyens drones/munitions téléopérées (MTO) et de lutte anti drone (LAD) afin de ménager une bulle omnidirectionnelle et élargie de perception des menaces.
Il résulte de cet emploi de la robotique terrestre en zone urbaine une forme d’ubiquité par une multiplication des actions des combattants débarqués dans tous les spectres, à toutes les échelles et dans toutes les strates de la ville.
L’HYPER TECHNOLOGIE GENÈRE DES EFFETS DE PERSISTANCE
Le contrôle continu du milieu ne s’envisage pas sans une forme de persistance qui s’entend comme une résistance à l’abrasion exercée par l’action en zone urbaine (AZUR). Elle se conçoit sous l’angle de la protection par le report partiel du risque sur les vecteurs plutôt que sur les opérateurs lors de la mise en œuvre des fonctions observation, agression, logistique et protection.
La fonction observation s’apparente à l’emploi actuel des drones first person view (FPV). Facilement accessibles et peu coûteux dans une logique d’économie de guerre, ces vecteurs sont également peu encombrants et d’une mise en œuvre aisée et rapide. Bien que fragiles et soumis aux aléas aérologiques, ils ont une empreinte logistique réduite et demandent peu d’entretien. Ils sont généralement considérés comme consommables au regard de l’exposition aux risques en ville. Dans cet espace de manœuvre, ils fournissent un point d’observation déporté, au plus près, dans les trois dimensions, pour un recueil du renseignement destiné à une exploitation immédiate, indépendamment de la maîtrise de l’air. Leur mode d’engagement doit servir de modèle pour développer des micros vecteurs terrestres, rapides, très mobiles et furtifs, capables d’agir comme des capteurs déposés mobiles qui occupent le terrain tout en se montrant capables d’adapter leur posture à l’évolution de la situation et fournissant ainsi une permanence de l’observation. Des vecteurs intéressants existent déjà dans le cadre de l’exploitation des conduites ou des réseaux de transport souterrain. En combinant une capacité terrestre et aérienne, un compromis avantageux peut être établi entre durabilité et agilité. Les unités peuvent alors agir en associant manœuvre téléopérée et combat débarqué.
La fonction agression, lorsqu’elle est téléopérée, permet une permanence des engagements pourvu que l’on dispose de suffisamment de systèmes d’arme pour compenser les pertes. Pour tendre vers l’effet de permanence et de masse, l’action des plateformes polyvalentes terrestres (PPT) doit être complétée par l’emploi de MTO terrestre développé sous l’angle de la frugalité technologique et d’un coût limité pour être consommables. On peut même imaginer une PPT intégrant son propre lanceur de MTO terrestre et aérienne.
« POURSUIVRE L’ACTION EN SE PROTÉGEANT DES RISQUES TECHNOLOGIQUES »
La durabilité en zone urbaine passe impérativement par une fonction logistique résiliente, facteur auquel les PPT peuvent notablement contribuer. En effet, l’intensité des engagements en ville ainsi que le recours aux opérations lacunaires (micro théâtre/isolement) nécessitent d’accroître substantiellement l’autonomie opérationnelle des unités. Outre une maîtrise des consommations et une exploitation éventuelle des ressources locales encore disponibles, ce besoin d’autonomie se traduit par une augmentation des dotations initiales dont il faut disposer au plus près des contacts. L’augmentation de l’emport logistique aux plus bas échelons est un défi en soi, augmentée en zone urbaine par le chaos du terrain, la menace omnidirectionnelle et les engagements à très courte distance. Les PPT doivent proposer des solutions d’accompagnement logistique automatisées et ramifiées couvrant les trois fonctions RAV (ravitaillement), MEC (maintien en condition des matériels et réparation) et SAN (soutien sanitaire) dès le niveau 6 (section ou peloton). En outre, l’engagement en zone urbaine se singularise par de fortes consommations et un taux élevé de pertes auquel s’ajoutent des contraintes de dépannage et d’évacuation des blessés supérieurs comparativement à la zone ouverte. Des démonstrateurs de vecteurs RAV et SAN existent déjà . Leur autonomisation repose aussi sur une intégration à la numérisation de l’espace de bataille.
Enfin, la persistance comprend également la capacité à poursuivre l’action tout en se protégeant des risques technologiques. En plus des actions de contre-mobilité par minage ou piégeage, la zone urbaine concentre un grand nombre d’infrastructures industrielles, commerciales ou hospitalières ainsi que de nombreux réseaux d’approvisionnement qui peuvent représenter un danger radiologique, biologique ou chimique. En ville, les effets des agents toxiques sont amplifiés par les milieux confinés et la présence de population. En effet, les agents toxiques peuvent davantage se concentrer en espaces clos et souterrains et subissent moins les éléments naturels susceptibles de diminuer leur dangerosité (vent, ultraviolets). Le report du risque sur les systèmes automatisés protège les combattants débarqués des agents toxiques.
C’est pourquoi, sans remettre en cause les principes de tactique générale, l’engagement de systèmes automatisés en zone urbaine devrait exercer demain une influence considérable sur le combat urbain.
 POUR EN SAVOIR PLUS
Le combat en zone urbaine, laboratoire de la haute intensité