Non loin de l’Ukraine, l’autre enjeu européen des Balkans

À l’occasion de la 3e Session internationale sur les Balkans et l’Europe du Sud-est (SIB), focus sur cette région-frontière impactée de longue date par les conflits, et de plus en plus intégrée à l’UE.

UNE MOSAÏQUE DE PEUPLES SECOUÉE PAR L’HISTOIRE

On entend souvent depuis le début de la guerre en Ukraine qu’il s’agirait du premier événement de cette intensité en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : c’est ce que le chercheur Loïc Trégourès, responsable pédagogique à la session nationale de l’IHEDN, appelle « l’oubli yougoslave ». La région est l’objet cette semaine de la Session internationale sur les Balkans et l’Europe du Sud-est (SIB) 2023, organisé par l’IHEDN et la Direction de la coopération de sécurité et de défense.

Avant 1914, les Balkans étaient la « poudrière de l’Europe », qui a explosé à Sarajevo le 28 juin de cette année-là avec l’assassinat de l’héritier de l’empire austro-hongrois, déclenchant la Première Guerre mondiale.

Après le conflit, cette mosaïque de peuples chrétiens catholiques ou orthodoxes, musulmans, de culture slave ou non, s’est fondue dans un royaume, puis dans la Yougoslavie socialiste (bientôt « non alignée » sur l’URSS), cohabitant ainsi pendant plus de sept décennies. Mais entre 1991 et 2001, la Yougoslavie s’est déchirée dans une série de guerres, marquées notamment par des frappes de l’OTAN, conduisant à son éclatement en une myriade d’États.

D’un point de vue géographique, les Balkans désignent la péninsule constituant le sud-est de l’Europe, entre les mers Noire, de Marmara et Adriatique, avec le Danube au nord. Au sens large, ils incluent donc la Bulgarie, la Grèce, la partie européenne de la Turquie, et jusqu’à la Roumanie et la Moldavie. Mais l’Union européenne, elle, distingue les Balkans occidentaux, avec la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie.

UNE RÉGION STRATÉGIQUE POUR L’EUROPE ET LA FRANCE

Actuellement, seules la Bulgarie, la Slovénie et la Croatie sont membres de l’UE. Le Monténégro, la Serbie, l’Albanie, la Macédoine du Nord et la Bosnie-Herzégovine sont candidats reconnus à l’entrée dans l’Union ; le Kosovo s’est déclaré, mais n’est pas encore reconnu par 5 États sur 27, donc pas officiellement candidat.

À Berlin en avril 2019, le président Macron a appelé la France à se doter d’une véritable stratégie pour les Balkans occidentaux, après une décennie de désinvestissement dans la région, en raison d’autres priorités stratégiques, en Afrique notamment. Cette feuille de route vise à « stabiliser durablement » la région, et à relever des défis politiques (différends non résolus entre Serbie et Kosovo par exemple), économiques et sociaux, concernant l’état de droit, la sécurité et les « influences externes qui détournent la région de sa vocation européenne ».

En matière de défense, l’IHEDN accueille des officiers venus de la région. Côté civil, l’Agence française de développement (AFD) est missionnée pour soutenir la stabilisation et le développement, la transition écologique, la jeunesse, l’égalité hommes-femmes…

Dans une région où les mafias sont puissantes et les routes de migration nombreuses, le volet « justice » comprend la « poursuite de la coopération technique en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, d’armes et la traite des êtres humains, et de lutte contre la criminalité organisée et la corruption », mais aussi la « mise en place de nouvelles coopérations en matière de criminalité financière et économique, de lutte contre les trafics de biens culturels et d’espèces protégées, qui peuvent également constituer des sources de financement du terrorisme ».

Sous la présidence française de l’UE, en 2022, Emmanuel Macron impulse la création d’une Communauté politique européenne (CPE). S’il est encore trop tôt pour en tirer le bilan, dans les Balkans, beaucoup pensent qu’il s’agit d’une deuxième division pérenne et non pas d’un sas d’entrée vers l’UE. Et alors que la question de l’élargissement jusqu’en 2021 ne concernait que les Balkans occidentaux, l’agression russe a ouvert le dossier pour l’Ukraine, la Moldavie, voire la Géorgie.

DANS LA GUERRE ACTUELLE ET APRÈS

Les Balkans comptent plusieurs membres de l’OTAN : Albanie, Croatie, Macédoine du Nord, Monténégro et Slovénie, alors que la Bosnie-Herzégovine est membre de son Plan d’action pour l’adhésion (MAP) depuis 2010. Mais la région n’est pas exempte d’influences turques, chinoises ou russes.

Ainsi, si la Serbie a condamné avec les Européens l’invasion russe de l’Ukraine à l’ONU, elle a décidé de ne pas appliquer les sanctions européennes. L’espace médiatique serbe, proche du pouvoir, est très prorusse et critique vis-à-vis de l’Union depuis une dizaine d’années, ce qui se ressent dans l’opinion.

Depuis le conflit en Ukraine, plusieurs pays ont été victimes de cyberattaques : en août, le Monténégro, partisan des sanctions européennes, a accusé la Russie ; des observateurs ont aussi montré Moscou du doigt pour des opérations en juillet en Albanie, mais Tirana a finalement pointé l’Iran.

Dans ce nouveau contexte, différentes entités internationales poursuivent leur coopération dans la région : UE, AFD, OSCE… Depuis parfois longtemps, comme les militaires au Kosovo : la KFOR, déployée par l’OTAN (avec aussi des contingents de pays non membres), est présente depuis la résolution de l’ONU l’ayant autorisée en 1999. La France, dont plusieurs généraux l’avaient commandée, en a retiré ses effectifs en 2013.