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Opérations extérieures : quand la France se met au service de l’ONU

Depuis 1956, l’Organisation des Nations unies lance régulièrement des opérations de maintien de la paix, dans le monde entier. Retour sur trois engagements emblématiques où des soldats français ont donné leur vie sous bannière onusienne.

Des quatre cercles qui constituent le périmètre de la défense nationale, le plus large est celui qui concerne la sécurité internationale. Permettant de garantir les atteintes à la défense et à la sécurité nationales détaillées dans les trois cercles plus petits, la sécurité internationale désigne l’action diplomatique bilatérale ou multilatérale, la maîtrise des armements ou la promotion des mécanismes de sécurité collective. Ce qui inclut les opérations extérieures (OPEX) de l’armée française. Pour illustrer ce cercle, Athéna a choisi cette semaine d’évoquer l’engagement français dans les opérations de maintien de la paix lancées par l’Organisation des Nations unies.

Ces opérations ne sont pas nées dès la création de l’ONU, en 1945. Elles n’ont d’ailleurs pas été prévues par la Charte des Nations unies, qui définit les buts et principes de cette organisation. « Mécanismes hors charte, elles ne s’appuient pas moins sur les dispositions de celle-ci », écrit la chercheuse Alexandra Novosseloff dans le Dictionnaire de la guerre et de la paix1. « Et tout particulièrement sur l’article premier par lequel maintenir la paix ne signifie pas seulement « prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir, d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix », mais également « réaliser par des moyens pacifiques l’ajustement ou le règlement des différends ou de situations susceptibles de mener à des ruptures de la paix », et également sur l’article 40 car ces opérations constituent fondamentalement des « mesures provisoires qui ne préjugent en rien les droits, les prétentions ou la position des parties intéressées » ».

Trois principes de base s’ajoutent à ce fondement juridique : le consentement des parties (État hôte et autres acteurs de la crise) ; l’impartialité (la doctrine Capstone de 2008 précise que « tout comme un bon arbitre est impartial mais siffle les fautes », l’opération ne peut laisser passer les violations d’un accord de paix ou des principes internationaux) ; et le recours à la force en cas de légitime défense. Le chapitre VII de la Charte, intitulé « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression », est le plus souvent invoqué dans les résolutions lançant une opération.

UNE INITIATIVE DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’ONU HAMMARSKJÖLD, TUÉ EN FONCTIONS EN 1961

A la suite des premières missions d’observation mises en place en 1948 (à Jérusalem et au Cachemire), la première opération de maintien de la paix est conçue en 1956 sous l’égide du secrétaire général d’alors, le Suédois Dag Hammarskjöld : il s’agit de la FUNU (Force d’urgence des Nations unies), déployée en Égypte pour répondre à la crise de Suez. Cinq ans plus tard, Hammarskjöld donnera lui aussi sa vie pour le maintien de la paix, son avion étant abattu alors qu’il travaillait au règlement de la crise congolaise.

L’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (avec la Chine, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis), la France est l’un des principaux contributeurs financiers aux opérations de maintien de la paix, ce qui n’est pas le cas en nombre de soldats. Comme le détaille Alexandra Novosseloff, il existe « deux grands types de contributeurs au maintien de la paix : les contributeurs en troupes (militaires et policiers), provenant depuis la fin des années 1990 principalement d’Asie et d’Afrique, et les contributeurs financiers, essentiellement les pays occidentaux et la Chine, dont les membres permanents du Conseil de sécurité qui élaborent les mandats de ces opérations ».

Parmi les opérations auxquelles la France a participé en envoyant des troupes, trois ont particulièrement marqué les esprits, puisque de nombreux soldats français y ont perdu la vie. Juridiquement, ces opérations montrent la variété des cadres de déploiement de contingents sous l’égide de l’ONU.

1983 : L’ATTENTAT DU DRAKKAR À BEYROUTH (LIBAN)

Le 19 mars 1978, au début de la guerre civile libanaise (1975-1990), l’ONU prend les résolutions 425 et 426 qui mettent en place la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) afin de répondre à la flambée de violence le long de la frontière israélo-libanaise. Elle est toujours en place aujourd’hui, avec des contingents venus de onze États, dont la France.

En parallèle, le 25 août 1982, sur demande du Liban, le secrétaire général des Nations unies créé la Force multinationale de sécurité à Beyrouth (FMSB), rassemblant les armées des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Italie et de la France, pour aider le gouvernement libanais à restaurer son autorité autour de la capitale face aux milices pro-syriennes, et protéger les populations civiles.

Environ 2000 soldats français sont déployés, et 1500 côté américain. Le dimanche 23 octobre 1983, à 6h18, un camion chargé de six tonnes d’explosifs piloté par un kamikaze iranien s’écrase contre le quartier général de l’armée américaine, à l’aéroport international de Beyrouth. Le bilan est terrible : 241 soldats, dont 220 marines, sont tués.

Deux minutes plus tard, c’est le QG des troupes françaises, installé dans l’immeuble « Le Drakkar » à Beyrouth-Ouest, qui explose : 58 militaires français (55 du 1er Régiment de chasseurs parachutistes et 3 du 9ème RCP) et 6 membres de la famille du gardien libanais sont tués. A ce jour, cette attaque reste la plus meurtrière pour l’armée française depuis la fin de la guerre d’Indochine, en 1954.

Selon les enquêtes des autorités libanaises et françaises, le mode opératoire de l’attentat du Drakkar a été le même que contre la base américaine quelques minutes auparavant : une attaque suicide au moyen d’un camion piégé. Cette version est remise en cause par des survivants de l’attentat, qui n’ont pas vu de camion, et estiment que l’immeuble, qui accueillait auparavant les services secrets syriens, avait été miné.

Passé le choc du double attentat, les États-Unis et la France pointent les responsables : l’Iran et son allié local, le Hezbollah libanais. Le bras armé de ce dernier, l’Organisation du Jihad islamique, a d’ailleurs revendiqué la double opération. Son chef, Imad Moughniyah, sera tué dans l’explosion de sa voiture à Damas en 2008, une opération qu’aurait menée le Mossad israélien avec l’appui de la CIA.

2004 : LE BOMBARDEMENT DE BOUAKÉ (CÔTE-D’IVOIRE)

Le 4 février 2003, la résolution 1464 du Conseil de sécurité des Nations unies autorise la Communauté économique des États d’Afrique de l’ouest (CEDEAO) et la France à envoyer des troupes en Côte-d’Ivoire, à la suite de l’accord de Marcoussis signé en janvier entre les belligérants de la guerre civile qui a éclaté l’année précédente. En février 2004, quand l’ONU adopte la résolution 1528 créant l’Opération des Nations unies en Côte-d’Ivoire (ONUCI), la force française Licorne, déployée depuis septembre 2002 dans le cadre de l’accord bilatéral de défense franco-ivoirien, reçoit le mandat d’appuyer la mission onusienne.

Le 6 novembre 2004 à 13h15, deux avions Soukhoï Su-25 de l’armée de l’air ivoirienne bombardent le lycée français René-Descartes de Bouaké, au centre du pays, où se trouve une base de l’opération Licorne. Le bilan s’élève à 10 morts (9 soldats français et un humanitaire américain) et 40 blessés (38 soldats et 2 civils, tous français) ; ce sont les pertes les plus lourdes pour l’armée française depuis l’attentat du Drakkar.

Bouaké se trouve alors sur la ligne de front entre le nord de la Côte-d’Ivoire, contrôlé par les rebelles, et le sud, loyal au président Laurent Gbagbo. Les jours précédents, l’armée ivoirienne avait attaqué des positions rebelles autour de la ville. Après le bombardement de la base française, le président de la République, Jacques Chirac, ordonne en représailles la destruction de la totalité des forces aériennes ivoiriennes.

On ne saura sans doute jamais qui est à l’origine de cette attaque. Les deux Soukhoï étaient pilotés par des Biélorusses secondés par des copilotes de l’armée ivoirienne ; enfuis au Togo, les deux premiers ont disparu de la circulation fin novembre 2004. Le 15 avril 2021, la cour d’assises de Paris a condamné, par contumace, les deux Ivoiriens et l’un des Biélorusses (la participation de l’autre n’ayant pu être prouvée) à la réclusion criminelle à perpétuité pour « assassinats, tentatives d’assassinats et destruction des biens d’autrui aggravée par deux circonstances (en réunion et au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique) ».

Le général Henri Poncet, ancien commandant de l’opération Licorne, a donné sa version des faits lors de son audition par la justice française, en 20132 : si l’opération était selon lui « manifestement délibérée », il estime Laurent Gbagbo « trop fin politique pour donner un ordre aussi absurde ». Il attribue la décision de bombarder la base française à des « extrémistes » de l’entourage du président ivoirien.

2008 : L’EMBUSCADE D’UZBIN (AFGHANISTAN)

 Le 20 décembre 2001, la résolution 1386 du Conseil de sécurité créé la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), que l’ONU place sous commandement de l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord (OTAN). Ses troupes rejoignent en Afghanistan l’armée américaine engagée unilatéralement en octobre, après les attentats du 11-Septembre aux États-Unis. Dissoute en 2014, cette force visant à combattre l’organisation terroriste Al-Qaïda d’Oussama Ben Laden, ses alliés talibans et d’autres groupes armés, a compté au maximum (en 2011) 150 000 soldats de 48 pays, dont 8 non membres de l’OTAN.

Alors que la coalition a renversé le régime taliban fin 2001, la guerre s’est installée dans la durée, sous forme d’insurrection. Le 18 août 2008, une centaine de soldats français, afghans et américains de la FIAS patrouillent sans reconnaissance aérienne préalable dans la vallée d’Uzbin, à une cinquantaine de kilomètres de Kaboul, à des fins de reconnaissance et de prise de contact avec la population. La région, proche des zones tribales pakistanaises servant de base arrière aux insurgés, est en partie aux mains des talibans.

En début d’après-midi, une partie de la section Carmin 2 du 8ème RPIMa (régiment de parachutistes d’infanterie de marine) ainsi qu’un légionnaire du 2ème REP (régiment étranger de parachutistes), soit 24 hommes, part à pied reconnaître un col contrôlant les accès à un village proche. Vers 15h30, des talibans postés sur une crète commencent à ouvrir le feu. Ils sont 150, soit à 5 contre un. Au même moment, d’autres talibans attaquent le reste de la section, restée en contrebas, qui riposte avec ses véhicules de l’avant blindé (VAB). Au milieu d’un cirque cerné par les crètes où se trouvent leurs ennemis, les Français sont quasiment encerclés. Dès 15h52, ils demandent des renforts, mais les avions et hélicoptères alliés ne peuvent tirer, les combattants des deux camps étant trop proches. Une section du RMT (régiment de marche du Tchad) peut tout de même appuyer les paras, sous les tirs talibans.

D’autres sections du RMT et du RPIMa arrivent ensuite en renfort, mais les talibans reçoivent aussi du soutien. La situation devenant critique, des avions et hélicoptères alliés apportent un appui aérien, puis des munitions. Vers 20h, trois sections supplémentaires du RMT arrivent de Kaboul. Duels de snipers, tirs de grenade à main, soldats se sacrifiant pour couvrir leurs frères d’armes… la bataille se poursuit ainsi dans la nuit, alors que les forces aériennes américaines finissent de débarrasser les crètes des talibans. Les pentes menant au col sont reprises, les premiers corps de soldats redescendus… Le col est reconquis à l’aube, la FIAS continue de bombarder les positions des talibans, qui « décrochent » enfin vers midi le 19 août.

Au total, 10 soldats français sont tués et 21 blessés. Dans le Dictionnaire des opérations extérieures de l’armée française de 1963 à nos jours3, le lieutenant-colonel Gilles Chevalier indique que ces pertes constituent « l’un des plus sévères bilans pour l’armée française depuis la fin de la guerre d’Algérie dans une action de combat (avec l’embuscade de Bedo au Tchad, le 11 octobre 1970) ».

1 Sous la direction de Benoît Durieux, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Frédéric Ramel, Presses Universitaires de France, 2017.

2 Cité par Mathieu Olivier et Vincent Duhem, « Bombardement de Bouaké : de Paris à Abidjan, qui était aux commandes ? », Jeune Afrique, 4 août 2017.

3 Sous la direction de Philippe Chapleau et Jean-Marc Marill, Nouveau monde éditions, Ministère des Armées, ECPAD, 2018.