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Défense économique : une approche nouvelle pour traiter de nouvelles menaces

Secteur très connecté au reste du monde, éclaté en de nombreux acteurs et susceptible d’impacter l’ensemble de la population, l’économie d’un pays est à la fois une cible et une arme d’affrontements stratégiques. Focus sur la doctrine française de défense et de sécurité de ce “nerf de la guerre”.
LUNDIS IHEDN - Défense économique

Sous l’intitulé “Défense et sécurité économiques”, cette question est l’objet d’une des cinq majeures de la Session nationale de l’IHEDN. Le présent article est un résumé du document pédagogique établissant le périmètre de cette majeure.

QUE SONT LA DÉFENSE ET SÉCURITÉ ÉCONOMIQUES ?

En 1990, l’économiste et stratégiste américain Edward Luttwak annonçait dans un article resté fameux que les logiques de conflit et les rivalités internationales s’articuleraient désormais davantage autour d’enjeux économiques et commerciaux que d’impératifs diplomatiques et militaires. L’économie est devenue un champ majeur d’affrontement et de domination, y compris entre alliés.

Dans un marché mondialisé, les interdépendances et asymétries économiques se sont donc vues “arsenalisées” par les Etats, afin d’être utilisées comme moyens d’influence, de domination ou de coercition. En France, dans le Livre blanc de la défense et de la sécurité nationales de 2013, le développement des réseaux et des flux est présenté comme “un atout”, mais aussi “un facteur de vulnérabilité”.

Dans ce contexte, le décret du 20 mars 2019 affirme que “la politique de sécurité économique vise à assurer la défense et la promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la nation, constitués notamment des actifs matériels et immatériels stratégiques pour l’économie française.” Depuis la pandémie du Covid-19, le sens de la sécurité économique, héritière du concept d’intelligence économique forgé dans un cadre essentiellement national et tactique, est allé s’élargissant.

Elle recouvre désormais, outre la protection des entreprises et du patrimoine, des enjeux tels que la souveraineté numérique ou technologique, la lutte contre la coercition économique, ou la disponibilité de compétences. Motivée par l’existence de menaces intentionnelles, elle doit aussi répondre à des risques non intentionnels, comme une pandémie.

Le plan “France Relance” présenté fin 2020 et doté de 100 milliards d’euros a été conçu comme “un accélérateur de souverainetés”, selon les mots du président de la République : “Il s’agit de ne plus dépendre des autres pour les biens essentiels, ne plus risquer de ruptures d’approvisionnements critiques.” Le plan d’investissement “France 2030” prévoit ainsi de sécuriser l’accès aux matériaux, aux composants, mais aussi aux technologies numériques souveraines, à la formation et aux capitaux.

Pour assurer une défense et sécurité économiques efficace, l’Europe est l’échelon adéquat pour la plupart des mesures nécessaires : RGDP, codes de souveraineté numérique et de politiques de données, règles dérogatoires pour les grands projets, échanges sur le contrôle des investissements étrangers… Comme l’a souligné fin 2020 Josep Borrell, Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, “l’autonomie stratégique s’est étendue à de nouveaux sujets de nature économique et technologique”. Depuis la guerre en Ukraine, l’UE repense “de nombreux éléments de son organisation interne”, notamment pour affronter les menaces géo-économiques.

DES MODES D’ACTION HYBRIDES ET SOPHISTIQUÉS

La compétition, voire l’affrontement économiques usent de différents modes d’action, qui visent à la fois une efficacité immédiate et la possibilité de façonner à plus long terme l’environnement. Ils émanent de différents acteurs (public ou privés) et de cadres (national, européen), dont il convient de penser les interactions et la cohérence.

A – Les actions de force sont les plus menaçantes :

  • l’utilisation du droit (lawfare) : lois et normes extraterritoriales, lois locales exorbitantes, utilisation du droit interne de l’adversaire ;
  • la captation de ressources ou de données : infiltration et espionnage, prédation et pillage, contrats économiques déséquilibrés ;
  • l’entrave des entreprises (par cyberattaque, boycott, poursuite judiciaire de dirigeants, atteintes à l’image…) ;
  • l’exploitation de l’endettement massif (ce que fait la Chine en Afrique) ;
  • l’exploitation des asymétries globales : qui contrôle ou surveille les flux financiers, énergétiques ou les supply chain peut en exclure un adversaire, ou s’en servir pour le déstabiliser ;
  • la coercition économique : droits de douane, embargos, gel des avoirs…

 

B – Les actions d’influence modèlent l’environnement :

  • la définition des normes internationales, qui permettent d’avantager ceux qui en ont l’initiative et en maîtrisent le contenu ;
  • l’influence : diplomatie (politique, commerciale, culturelle…), cooptation d’élites, coopérations, voire moyen plus agressifs comme la corruption ou la désinformation ;
  • la conquête et la protection des marchés ;
  • les acteurs non-étatiques (ONG, multinationales…) ont une influence croissante.

 

C – Les actions de soutien à la résilience et à l’autonomie permettent de réduire la vulnérabilité à moyen et long terme :

  • par la compétition technologique (IA, quantique…) ;
  • par la réduction des dépendances critiques (composants, matières rares) ;
  • par la régulation du marché intérieur pour affaiblir les oligopoles (numériques notamment).

UNE APPROCHE STRATÉGIQUE ET DES MOYENS D’ACTION

Au regard de ce qui précède, la politique de défense et de sécurité économiques peut viser quatre types d’objectifs.

A – Protéger, promouvoir et soutenir les intérêts économiques, par :

  • la régulation des investissements étrangers ;
  • la contre-ingérence et le contre-espionnage ;
  • la lutte contre la désinformation ;
  • les réponses juridiques aux lois extra-territoriales ;
  • le soutien politique à l’export, et le façonnement de l’environnement.

 

B – Garantir la disponibilité des ressources essentielles à la sécurité, qu’elles soient nécessaires à la population (alimentation, énergie) ou au tissu économique (composants, matières premières…), ce qui nécessite :

  • anticipation et planification ;
  • des pratiques économiques orientées (vers les stocks, la production intérieure, la diversification des sources…) ;
  • la sécurisation des importations par voie diplomatique ou militaire ;
  • l’action politique (pour un financement européen de l’industrie de défense par exemple).

 

C – Créer un cadre favorable, en :

  • renforçant la souveraineté numérique et technologique, notamment grâce à la recherche et à l’innovation ;
  • assurant un ordre commercial juste et équitable par des négociations multilatérales.

 

D – Utiliser l’économie à des fins politiques de sécurité

La défense et la sécurité économiques nécessitent parfois d’affaiblir un adversaire en lui privant l’accès à des biens ou ressources, par exemple :

  • lutter contre la prolifération d’armes de destruction massive ;
  • restreindre les transferts de technologie ;
  • édicter et faire respecter des embargos ou des sanctions ;
  • utiliser un avantage économique dans le cadre d’une diplomatie transactionnelle ;
  • lutter contre les flux financiers illicites.