Sous le titre « Guerre absolue ? Remettre en perspective la Seconde Guerre mondiale », l’IHEDN recevait l’historien Olivier Wieviorka, auteur d’une Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale (éditions Perrin). Ce livre est à la fois une synthèse inspirée des derniers travaux historiographiques, une réflexion sur la singularité d’une époque et une mise en abîme pour mieux comprendre le monde d’aujourd’hui. Une somme de connaissances qu’Olivier Wieviorka met à la disposition du lecteur pour faire comprendre la Seconde Guerre mondiale dans toutes ses dimensions, en l’insérant dans un contexte global. Guerre mondiale à nos yeux, guerre d’occupations de territoires, guerre d’expérimentations de dictature et de totalitarisme.
Le concept de Seconde Guerre mondiale mérite attention : certes, la guerre eut lieu partout dans le monde, mais ce seul fait ne saurait justifier l’expression. Car le concept n’est pas évident pour tous les pays. Il ne concerne pas tous les théâtres d’opérations. La seule puissance à avoir mené une « guerre mondiale » se révèle être les États-Unis. S’agirait-il alors d’un combat pour des valeurs universelles ? Pas davantage, tant cette guerre apparaît certes idéologique, mais sur fond de nationalisme. D’où une mémoire d’abord nationale, plutôt qu’universelle.
Le fait militaire seul étant incompréhensible et l’histoire des batailles d’un intérêt trop limité, l’historien a choisi le récit (des faits, événements et causalités), vivant et incarné, assorti de citations, portraits et anecdotes. Grâce aux thèmes abordés dans des chapitres spécifiques intermédiaires (sociétés, États, pratiques militaires), il offre une double clé de lecture. L’auteur aborde ainsi la stratégie : il montre qu’aucune bataille ni aucune arme ne se sont révélées décisives et que des stratégies alternatives ont dû être développées. Au final, la logistique apparaît comme l’élément essentiel et crucial de la guerre, tant son efficacité est impérative.
« IL FAUT UN ENGAGEMENT OCCIDENTAL BEAUCOUP PLUS ÉLEVÉ »
Une analyse qui permet une mise en perspective et une réflexion sur l’actualité. La logistique demeure tout aussi fondamentale en Ukraine aujourd’hui, comme le souligne Olivier Wieviorka. Et l’historien de s’interroger sur la capacité d’oubli de l’institution militaire en soulignant que l’infanterie est en première ligne en Ukraine, comme lors de la Première Guerre mondiale. Bon pédagogue, le professeur rappelle en revanche que le parallèle fait avec les accords de Munich n’est pas pertinent puisqu’il s’agit d’un événement qui a précédé la guerre ; faire référence à l’esprit munichois était valable en 2014, non en 2024 !
Un parallèle plus judicieux tient à la compréhension de la rationalité de l’autre et à la difficulté de le comprendre. Olivier Wieviorka note que les dirigeants occidentaux se sont tout autant fourvoyés lors de la Seconde Guerre mondiale que les dirigeants actuels à comprendre le caractère idéologique de Poutine. De même, la question des sacrifices que les Français étaient alors prêts à faire – le pacifisme de l’entre-deux-guerres était fondé sur une France meurtrie et ruinée par la Première Guerre mondiale – peut se reposer aujourd’hui à l’égard de tous les citoyens : que sommes-nous prêts à faire et quel type d’engagement sommes-nous prêts à soutenir ?
En réponse aux questions posées, Olivier Wieviorka fait remarquer que chaque individu a été confronté à des dilemmes moraux lors de la Seconde Guerre mondiale (ce qui n’avait pas été le cas lors de la Première), qu’il y a eu plus de victimes civiles que non-civiles, sans oublier la Shoah et les génocides : un univers brutal exceptionnel qui a fait basculer cette guerre dans une dimension particulière.
Un ouvrage foisonnant et passionnant, de lecture facile, dans lequel le lecteur peut picorer quantité d’informations et trouver matière à réflexion.