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Table des matières

Des décisions ministérielles très claires

Par décision n° 15 619 MA/DMA/CAB du 22 juillet 1964, le ministre des Armées, Pierre Messmer, crée le Centre des hautes études de l’armement (CHEAr). Placée sous la haute direction du délégué ministériel pour l’armement (DMA), alors le général Gaston Lavaud, la mission de cet « organisme d’enseignement supérieur spécialisé » (article 1er) est de « préparer les ingénieurs militaires, les cadres supérieurs des administrations publiques et du secteur privé […] et des officiers des armes à assurer la responsabilité de l’élaboration et de l’exécution des programmes d’armement » (article 2). Les études y portent sur « les problèmes d’armement considérés spécialement sous leurs aspects techniques, économiques, financiers et sociaux » (article 2).

Le même jour paraît une seconde décision, n °15 620 MA/DMA/CAB, portant sur le fonctionnement et l’administration du CHEAr. Un ingénieur militaire général d’un corps de direction de l’armement doit le diriger, avec l’assistance d’un directeur adjoint et d’un directeur des études aux qualités non spécifiées. Émargeant pour l’exercice budgétaire 1964 aux crédits des différentes directions de la Délégation ministérielle pour l’armement (DMA), autonome à terme, le Centre doit établir un tableau des effectifs permanents civils et militaires pour le 1er octobre 1964.

Le Centre des hautes études de l’armement dispense un enseignement à des « auditeurs », terme retenu dans l’article 2 de la décision du 22 juillet 1964. À l’origine, ceux-ci sont exclusivement de nationalité française. Ils peuvent être répartis en trois groupes distincts. Pour ce qui est des personnels militaires, leur sélection s’opère parmi les ingénieurs militaires en chef et les officiers des armes de rang équivalent (lieutenant-colonel et colonel ; capitaine de frégate et capitaine de vaisseau). Ils sont désignés par le ministre sur proposition du délégué ministériel pour l’armement. À leur côté prennent place « les hauts fonctionnaires civils et militaires des administrations centrales intéressées aux questions d’armement », dont la présence quasi statutaire d’un contrôleur de l’administration des armées ou d’un administrateur civil par promotion. Enfin le troisième groupe est constitué par les représentants, ingénieurs ou administrateurs, des secteurs nationalisé, semi-public et privé comportant des activités d’armement. La nomination est le fait du ministre des Armées, après consultation du ministre ou de l’autorité de tutelle dont ils relèvent.

Une élaboration des textes cependant un peu hésitante

Les évolutions naturelles du texte soumis à la signature du ministre montrent un nombre certain de réglages. Ils sont l’œuvre de l’ingénieur général de 1re classe de l’artillerie navale (cr) Aubry, spécialement chargé de l’étude de la création de ce que la décision n° 17-292 DMA/CAB du 27 août 1963 appelle un « institut ». Par lettres de service, un directeur adjoint et un directeur des études ont aussi été pressentis. La date limite de remise des projets de textes réglementaires et des textes d’application est fixée au 1er mars 1964, « l’ouverture de la première session de l’Institut [étant] prévue dans le courant de l’année 1964 ».

L’ingénieur général Aubry a effectué de très nombreuses consultations avant de remettre au délégué un volumineux rapport d’étape le 10 janvier 1964. Il a d’abord pris contact avec les autorités de l’IHEDN qui constitue le référent vers lequel doit tendre le nouvel institut : le général d’armée Gambiez, son directeur, qui est aussi celui de l’Enseignement militaire supérieur, l’inspecteur général adjoint de l’administration Ravail, son directeur adjoint civil, et le contrôleur de l’administration de la marine Duval, son directeur des études. Il s’est ensuite tourné vers les autorités de la Délégation ministérielle pour l’armement en charge de la formation des personnels : l’ingénieur général Nardin chargé par le général Lavaud de l’étude d’un Collège des techniques avancées et de l’organisation de l’enseignement du second degré des ingénieurs de l’armement d’une part, l’administrateur civil Marc Robert, directeur du département « Administration générale », à ce titre en charge de la cohérence globale des dispositions prévues respectivement pour le futur corps des ingénieurs de l’armement et pour le Centre des hautes études de l’armement d’autre part. Mais il s’agit aussi, avec Louis Armand et l’ingénieur général des mines Chéradame, de l’École polytechnique, principale pourvoyeuse de la DMA en ingénieurs militaires. Les directeurs centraux ont aussi été consultés, qu’il s’agisse de ceux des « Recherches et moyens d’essais » (Pr Malavard), des « Constructions et armes navales » (Ingénieur général Gisserot), des « Études et fabrications d’armement » (Ingénieur général Sorlet), de « l’Aéronautique » (Ingénieur général Dellus) ou des « Poudres » (Ingénieur général Tavernier). Il en alla de même avec les inspecteurs généraux techniques (respectivement les ingénieurs généraux Deruelle, Bonte et Prévost) et les directeurs des écoles d’application (Ingénieurs généraux Dutilleul, Marlin, de Valroger et Corbu).

Cette consultation « tous azimuts » a concerné d’abord les organes centraux du ministère des Armées comme la direction du contrôle (contrôleurs généraux Crossat et André). Mais furent aussi consultés : le commissariat au Plan (Jean Ripert), le ministère des Finances et des Affaires économiques, notamment l’Institut national de la statistique et des sciences économiques, et le ministère de l’Industrie (Ingénieurs généraux Bazin et Bellier, inspecteur général de Lombares). Furent également abordées des personnalités spécialistes des questions économiques et de l’armement, ayant parfois accompli de brillantes carrières au sein d’entreprises publiques (M. Cristofini, directeur central de la Société d’études et de réalisations d’engins balistiques – Sereb) et privées (M. Dontot, directeur général adjoint de la Compagnie française Thomson Houston – CFTH).

De ce tour d’horizon, l’ingénieur général Aubry retire d’abord l’absence de toute hostilité au projet d’Institut des hautes études de l’armement. « Les personnalités relevant des grandes administrations de l’État ou appartenant au secteur privé ont été vivement intéressées par les mesures prévues pour étendre les connaissances de nos ingénieurs et faciliter leurs rapports avec eux. Elles ont approuvé le projet sans réserve et en aucun cas je ne me suis vu opposer de critiques de nature à freiner ses développements ultérieurs. Bien au contraire, les uns et les autres m’ont toujours assuré de leur soutien et le plus souvent j’ai même emporté la promesse de leur participation personnelle ou du concours de leurs collaborateurs » note-t-il dans son rapport d’étape au général Lavaud en date du 10 janvier 1964. À l’inverse, il relève symétriquement les carences alors ressenties dans la formation des ingénieurs militaires par certaines directions centrales de la DMA et, corrélativement, l’apaisement des ingénieurs de l’armement trentenaires « rassurés sur leur avenir » par la mise en place du futur Centre susceptible d’attirer les éléments les plus brillants de l’École polytechnique.

Dans ce rapport d’étape, fruit d’une réflexion menée en étroite concertation avec l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) d’une part, avec la commission « Personnels » de la Délégation ministérielle pour l’armement d’autre part, l’ingénieur général Aubry établit un ordre des priorités.

Elles sont au nombre de cinq selon lui. Tout d’abord, il s’agit de donner aux auditeurs, tant par des conférences que par des travaux en comité, une information aussi complète que possible sur les particularités de fonctionnement des grandes entreprises, sur les structures économiques françaises et étrangères, sur la place des programmes d’armement dans l’économie nationale et sur les limitations résultant des possibilités actuelles de la science et de la technique. Il faut aussi « développer chez les auditeurs leurs facultés à dominer les ensembles en dégageant les éléments essentiels et à exploiter rapidement les informations pour prendre les décisions qui s’imposent ». Pour parvenir à ce but, le Centre doit amener des auditeurs venant d’horizons aussi différents à « mettre au point des méthodes de travail susceptibles de dégager de la confrontation de points de vue différents des solutions de synthèse suffisamment précises et constructives pour pouvoir être exploitées au sein de l’armement ». À l’esprit de synthèse doit être associée la faculté de « traiter les problèmes dans un esprit prospectif en tenant compte des sinuosités des approches de l’avenir et leur assurer la souplesse d’adaptation que la rapidité d’évolution du progrès technique rend nécessaire ». Plus spécifiquement enfin, les auditeurs doivent combler leurs lacunes en science économique, « analyser et utiliser les informations générales et les informations statistiques, reconnaître les facteurs extérieurs qui dans chaque cas ont le plus d’influence dans le déroulement des opérations d’armement et détecter les signes précurseurs des variations de ces facteurs […] imaginer ou perfectionner des processus de régulation permettant de réagir efficacement et rapidement à des perturbations qui risqueraient de compromettre les équilibres des programmes ».

Un groupe de travail est constitué pour approfondir les différents points soulevés dans le rapport remis le 10 janvier 1964 et mener à bien les travaux préparatoires à la création du CHEAr. Lors de sa première réunion, le 6 février, à l’Inspection technique des constructions et armes navales, sont confirmés les horaires de travail concentrés sur quatre demi-journées à cheval sur le week-end pour ne pas nuire à l’activité professionnelle des auditeurs et s’aligner sur le rythme de l’IHEDN, avec laquelle des activités communes sont prévues. En réponse à des interrogations internes sur la nécessité de la création du CHEAr au vu du programme des enseignements tournés vers la « préparation aux affaires » ou la « gestion des entreprises », l’apparentant, par là même, à certains organismes privés spécialisés recevant déjà des ingénieurs de l’armement ou certains stages organisés par des directions techniques de la DMA ou par l’IHEDN, le niveau des enseignements dispensés au CHEAr est situé largement au-dessus des notions acquises lors des formations évoquées et est réaffirmé l’intérêt de « lever les cloisons » entre les différents acteurs des programmes d’armement. Enfin les voyages d’études sont l’occasion d’un consensus avec la direction de l’IHEDN pour une mission commune en début de session, alors qu’en fin de session le grand voyage demeurerait individualisé en raison de la trop grande différence des centres d’intérêt et de difficultés matérielles insurmontables. À l’issue de cette réunion, un projet de décret créant le CHEAr, accompagné de son rapport justificatif et d’un rapport de présentation au président de la République, est soumis au DMA, puis au ministre des Armées.

Texte très complet et fouillé, composé d’une dizaine d’articles, il associe la création d’un Comité d’orientation et de perfectionnement du haut enseignement armement à celle du CHEAr. Au côté de deux anciens auditeurs choisis dans les cinq dernières promotions du Centre, ce conseil regroupe 15 membres de droit et 6 désignés, appartenant au CHEAr, aux inspections et aux grandes directions de la DMA, à l’Enseignement militaire supérieur, à la haute fonction publique et aux fédérations nationales patronales. Le président nommé pour trois ans non renouvelables par le ministre des Armées est choisi parmi les membres de droit à l’exclusion du directeur du CHEAr.

Par une note manuscrite, Pierre Messmer indique que, s’il est d’accord sur le principe de la création projetée, elle « doit prendre place dans l’enseignement militaire supérieur, sous la forme d’un Centre des hautes études de l’armement (symétrique au Chem) dont les stagiaires suivraient en même temps le stage de l’IHEDN ». Et d’expliciter encore plus sa pensée s’il en était besoin : « L’armement n’existe pas pour lui-même, mais pour la défense nationale. Il doit être intégré à la défense nationale ». En conséquence, à dater de ce jour apparaît systématiquement le mot « Centre » en lieu et place d’ »Institut ». En revanche, le directeur du CHEAr serait nommé par décret en conseil des ministres sur proposition du ministre des Armées.

Portant sur la préparation des sujets de travail soumis à la première promotion, ainsi que l’étude des propositions budgétaires pour 1965, la seconde réunion du groupe de travail, le 15 avril 1964, consacre le principe d’une association étroite entre le secteur privé et la fonction publique à travers la répartition des postes de direction et des cadres des sections « Armement », « Économie » et « Entreprises ». Le directeur du CHEAr pressenti en la personne de l’ingénieur général Aubry, le directeur des études de même avec le contrôleur de l’administration de la Marine Perrot, seul le directeur adjoint reste à désigner ultérieurement « tour à tour en dehors du ministère des Armées dans les différentes branches d’activité intéressées aux questions d’armement ». Statutairement nommé pour une période de trois ans non renouvelables, ce peut être une personnalité représentative d’un ministère autre que le ministère des Armées ou une personnalité du secteur privé de l’armement dont le rôle est de conseiller le directeur « pour toutes les questions qui touchent les milieux extérieurs à la DMA ». Sur proposition du directeur général de l’Insee, l’inspecteur général des Finances Hubert Davost, membre de la mission de contrôle des entreprises bénéficiant de la garantie de l’État, est nommé directeur adjoint. Le directeur des études appartient pour sa part au ministère des Armées et est un contrôleur de l’administration des armées, un ingénieur ou un administrateur civil.

Se fondant sur le précédent financier de l’IHEDN, une ébauche de budget est constituée, à prévoir sur les différents chapitres des directions centrales de la DMA figurant dans les services communs du budget du ministère des Armées. Le programme de la première promotion est tracé dans ses grandes lignes. Sur 256 heures, dont 68 conférences de deux heures, 104 heures sont communes avec l’IHEDN et 152 sont spécifiques. Les ajustements seront le fruit de l’expérience, notamment les inévitables allègements de la partie commune aux deux instituts si le CHEAr « veut explorer tout le programme spécifiquement armement ».

L’ingénieur général Aubry note cependant l’intérêt qu’il y aurait à dissocier le projet de l’ensemble des mesures visant à refondre la Délégation ministérielle pour l’armement, soumises à l’examen du ministre, pour respecter l’engagement d’accueillir le 1er novembre la première promotion du CHEAr.

Le rapport d’étape du 10 janvier 1964 indiquait pour sa part que « l’organisation prévue pour l’Institut des hautes études de l’armement devra s’inscrire dans le cadre général des réformes en cours d’examen au sein de la Délégation ministérielle pour l’armement et en particulier de celle qui concerne la fusion des corps de direction ». Dans la note rédigée à l’attention de Pierre Messmer pour soumettre à sa signature le texte des décisions ainsi que les décrets de nomination du directeur et du directeur adjoint, le délégué ministériel pour l’armement souligne l’inscription de la création du CHEAr dans l’ensemble des réformes de l’armement « sans qu’il y ait là une dépendance technique réelle ». Cependant, bien que les textes soient prêts depuis plusieurs semaines, les délais nécessaires et incompressibles à la mise en place du nouveau Centre incitent à ne pas recourir à la procédure lourde des trois décrets contresignés soit du président de la République, soit du Premier ministre.

L’alternative réside alors entre l’arrêté et la décision, résolument brefs. Le choix de ne pas passer par un décret conduit à laisser de côté tout ce qui excède le niveau propre à une décision d’une part et à ignorer tous les sujets pouvant anticiper sur les dispositions du décret à venir d’autre part. Inversement, elle présente l’avantage de laisser les mains libres au directeur du futur Centre, comme le voulait expressément le délégué ministériel : « Il convient de garder à l’esprit le fait que l’Institut sera nécessairement une création continue faite autour de son directeur et par celui-ci. Conformément au précédent suivi pour l’IHEDN, le décret initial de création devra être limité à quelques points essentiels de façon à laisser au directeur la liberté d’action nécessaire ».

Des motivations liées à la création du corps des ingénieurs de l’armement

Le paragraphe 2 de la décision du 27 août 1963 se concentre sur l’amélioration des compétences professionnelles des ingénieurs de l’armement appelés à exercer de hautes fonctions. Les attendus de la création du CHEAr font pour leur part état de la nécessité d’adapter au rythme de l’évolution moderne, qui excède le cadre étroit du ministère des Armées et de la France, chaque étape des parcours professionnels des ingénieurs militaires, passant progressivement des responsabilités à prédominance technique au début de leur carrière à des problèmes d’organisation, de gestion, de planification, de comptabilité et de relations humaines à mesure qu’ils progressent. En leur assurant ces connaissances, le CHEAr entend leur permettre « d’apprécier les possibilités et les disponibilités industrielles du moment, [de] prévoir les conséquences de leur politique sur les plans industriel, économique et social et [de] mesurer l’importance des répercussions probables dans le cadre international ». Techniquement performants, mais jusque-là limités à la seule DMA dans le périmètre d’exercice de leur activité, les ingénieurs vont s’ouvrir, grâce au CHEAr, à la pratique de l’interministériel et à la connaissance des capacités des secteurs public et privé de la Nation. L’esprit de synthèse, le sens de l’anticipation et la souplesse d’adaptation, la capacité à bâtir une solution de compromis précise et constructive sont mis en avant.

S’intégrant dans un cursus continu de formation des ingénieurs militaires, le CHEAr en constitue l’échelon le plus élevé. Entre 20 et 25 ans, les ingénieurs militaires issus de l’École polytechnique suivent la formation de base indispensable dispensée par le Collège des techniques avancées avant d’entrer dans la vie active. Entre 25 et 35 ans, ils poursuivent au moyen de stages une formation administrative et se recyclent techniquement dans les centres de perfectionnement technique et administratif, quand ils ne sont pas amenés à « pantoufler » dans les industries d’armement… avant de connaître avec le CHEAr une formation de plus haut niveau. Conçue comme un tournant dans la carrière des ingénieurs militaires, leur entrée au CHEAr leur donne accès à de très hautes fonctions dans le domaine de la conception et de la réalisation des programmes d’armement et par conséquent leur ouvre des « perspectives nouvelles sur des activités qui pénètrent profondément dans les domaines financiers, économiques et sociaux et qui impliquent des rapports fréquents avec les États-majors, mais aussi une coopération confiante avec de nombreuses organisations extérieures à la DMA ». Cela explique la mixité propre aux promotions du CHEAr « pour faciliter les relations ultérieures de l’armement avec ces organismes et pour assurer une meilleure compréhension réciproque dans un climat d’entente ». Le retour sur investissement espéré est le développement d’initiatives interservices de grande ampleur impliquant le CHEAr : les exemples des « comptes de l’armement » et de la constitution de dossiers facilement exploitables par les commissions du Commissariat général au plan sont d’emblée cités. « Ce n’est pas la partie la moins importante que de faire apparaître nettement dans les conclusions des études les idées à répandre à l’intérieur de la DMA et à propager au-dehors par l’intermédiaire de ses anciens auditeurs ».

Le CHEAr est défini comme « un lieu de réflexion sur la place des programmes d’armement dans l’économie des Nations et dans leur développement scientifique et technique ». Les décrets d’avril 1961 ont opéré un regroupement et un décloisonnement simultanés des différentes fabrications d’armement les unes par rapport aux autres. En conséquence de cette concentration des organes de direction et de cette décentralisation corrélative des moyens d’exécution qui implique une atténuation des séparations traditionnelles des techniques par armée ainsi que « la fusion des corps traditionnels », les ingénieurs appelés à exercer les plus hautes fonctions auront des responsabilités élargies et probablement transverses par rapport à leurs aînés. Il faut donc aménager une transition entre les exercices respectifs d’un rôle d’exécutant et de dirigeant, par une formation conjuguant information exhaustive et réflexion approfondie. Cette lacune est ressentie à un très haut niveau. Le général Lavaud entend que l’ingénieur général Aubry prenne avis de la commission « Personnels » de la DMA. Pour le général Lavaud, il importe que le « stage à l’Institut constitue effectivement un tournant dans la carrière des auditeurs » appartenant au corps de l’armement.

Dans un projet de lettre du ministre des Armées à son homologue des Finances et des Affaires économiques, Pierre Messmer justifie la création du CHEAr par la nécessité de prévoir un enseignement supérieur destiné à préparer certains d’entre les ingénieurs militaires « aux postes de très grande responsabilité dans les activités de l’armement qui leur incomberont ou dans les activités connexes ».

Le CHEAr au sein de l’Enseignement militaire supérieur

Des liens entre le CHEAr, l’IHEDN et le Chem existent tant sur les plans géographique que fonctionnel et pédagogique. Envisagée par le général Lavaud, l’implantation à terme à l’École militaire cumule en effet les avantages pratiques (proximité avec l’IHEDN et le Chem) et symboliques (aura de la création de l’IHEDN par l’amiral Castex) : « les vieux murs chargés d’Histoire dans lesquels a toujours été dispensé le Haut enseignement militaire donneraient au jeune IHEAr à ses débuts une solide assise et lui assureraient un excellent départ ». École d’application de l’artillerie navale avant la Seconde Guerre mondiale, les locaux de la rue Sextius-Michel reçoivent le CHEAr, moyennant quelques reconfigurations des services implantés pour un coût modique. Le Laboratoire central de l’artillerie navale doit assurer le soutien logistique du CHEAr.

L’IHEDN : un modèle assumé

Le décalque parfaitement assumé du modèle IHEDN va jusqu’à l’adoption de principes similaires et de conditions d’études identiques, une unité de lieu d’enseignement, ainsi que l’approfondissement des notions développées en conférence par la mise à disposition des ressources d’un centre de documentation conséquent.

La décision du 27 août 1963 chargeait explicitement l’ingénieur général Aubry d’étudier « la création d’un Institut des hautes études de l’armement ». Dans une note destinée au ministre et intitulée « Fiche de présentation des projets de décision portant création d’un Institut des hautes études de l’armement », un des responsables du département « Administration générale » de la Délégation ministérielle pour l’armement évoque des critiques renouvelées à l’encontre du CHEAr. La première, consistant en fait en un rappel, souhaite sa désignation comme  « Institut » et non « Centre ». Trois arguments sont avancés. Au-delà des questions de terminologie, le type d’enseignement délivré par un centre – comme le Chem – est « partiel, aménagé en un cycle sur une période limitée de l’année ». Ses techniques de travail et son régime d’études apparentent le CHEAr davantage à l’IHEDN. Une seconde analogie réside en la variété d’origine des auditeurs et la présence prévisible à terme d’auditeurs étrangers « sur autorisation expresse et individuelle du ministre des Armées ». D’où la nécessité d’un « organisme d’allure libre et autonome que traduit mal le titre de « Centre » à résonnance plus étatique et plus administrative ». Enfin, porter sur les fonts baptismaux le nouvel organisme en le désignant sous le terme de « Centre » reviendrait à en amoindrir les dimensions… La décision du 22 juillet 1964 met un terme à cette prétention. Mais la bataille symbolique a été longue et rude.

Coordonner les activités et délimiter les domaines d’intérêt des deux instituts constituait un enjeu de taille, déjà au cœur de la décision chargeant l’ingénieur général Aubry d’étudier la création d’un IHEAr. Et l’élaboration des statuts du nouveau Centre s’est faite ab initio avec le plein accord du directeur de l’IHEDN, le général d’armée Gambiez, et la participation active du directeur des études de l’IHEDN aux travaux du groupe de travail présidant à la création du CHEAr. « L’imbrication des deux enseignements a donc été admise dès l’origine. »

Le lien avec l’IHEDN vise à « donner aux auditeurs de l’IHEAr les éléments d’information nécessaires pour situer la position de l’armement dans la défense du pays » et à « étendre le cercle de leurs relations en leur ménageant des contacts ou des conversations avec les auditeurs des diverses disciplines représentées à l’IHEDN ». Ces éléments d’information sont constitués par « l’examen des problèmes affectant directement ou indirectement la définition, la conception et l’exécution des opérations d’armement dans le contexte national ou plurinational ». Au-delà commence la part de l’enseignement spécifiquement armement du CHEAr, sous le contrôle du délégué ministériel pour l’armement agissant après avoir pris l’avis du « Comité d’orientation et de perfectionnement du haut enseignement armement », organisme à créer déjà évoqué.

Tant au niveau de la direction qu’à celui des auditeurs, un modus vivendi a été trouvé entre les deux organismes lors des discussions exploratoires. Il consiste au niveau des directions en ce que chaque directeur siège ès fonctions au Comité d’orientation et de perfectionnement de l’autre institut (Haut enseignement de défense et haut enseignement armement). Une conférence mixte des cadres des deux instituts élabore le plan de travail des sessions pour ce qui concerne la partie commune de l’enseignement résultant des directives du Premier ministre. Elle harmonise donc les horaires de travail. La contrepartie inévitable est le passage sous l’autorité du Premier ministre pour la partie de l’enseignement dispensée en commun aux deux instituts, quand bien même les moyens en personnels et en matériel et les crédits nécessaires au fonctionnement du CHEAr lui sont fournis par le DMA. L’ambition réside dans une confrontation et une harmonisation constantes des méthodes d’enseignement des deux instituts.

Au niveau des promotions, toute une partie des programmes est commune : si les « conférences d’ordre général » et les « travaux en comité » portent sur des sujets intéressant l’armement, les « séances d’information correspondant à ces travaux » sont prévues en commun. Par ailleurs, les « voyages d’études » sont organisés en commun. « Un parallélisme effectif existera entre les comités des deux instituts intéressés par le ou les sujets touchant aux problèmes d’armement, les travaux seront conduits en liaison constante et la synthèse finale donnera lieu à l’élaboration d’un document unique commun ».

Pour améliorer le brassage des personnalités composant les différents comités du CHEAr et de l’IHEDN, les auditeurs du CHEAr sont répartis parmi les comités existants de l’IHEDN. L’ingénieur général Aubry demande que le premier projet soumis à la réflexion des auditeurs en comité, appelé à être discuté avant le voyage de la fin novembre de l’IHEDN soit un sujet d’armement. Ce brassage des horizons doit être soigné de façon que les liens perdurent au-delà des sessions. Le brassage s’effectue par la recomposition constante des comités après chaque étude ou exercice « de manière qu’un auditeur puisse travailler tour à tour avec tous les autres et exercer au moins une fois dans la session les fonctions de président ou de secrétaire de comité ».

En fait, plus que de la hiérarchie de l’IHEDN, la résistance vient de deux horizons différents et complémentaires. D’une part, les cadres instructeurs, ne voulant pas tenir compte de l’existence du CHEAr pour définir les sujets d’étude communs, dénient aux futurs auditeurs la qualification requise pour participer aux travaux de l’IHEDN intéressant l’armement parce qu’ils ne suivent pas la totalité du cursus de l’IHEDN. D’autre part, le président de l’Association des anciens cadres et auditeurs de l’IHEDN et ès fonctions membre du Comité d’orientation et de perfectionnement du haut enseignement de défense, André Tranie, exprime « ses craintes de voir ultérieurement l’IHEAr détourner définitivement de l’IHEDN les ingénieurs militaires et les ingénieurs civils du secteur privé d’armement ». Il juge pertinente cette alchimie de l’IHEDN qui procure « un langage commun à des personnalités d’origine très diverses appelées à jouer un rôle, quel qu’il soit, dans la défense ». Par son enseignement de défense généraliste, l’IHEDN est plus susceptible de compléter une formation spécifique dispensée ailleurs dans l’Enseignement militaire supérieur (cas du Chem) ou dans un autre ministère. L’assistance aux seuls travaux des comités spécifiquement orientés sur les questions d’armement sans envisager ultérieurement de suivre l’intégralité d’une session IHEDN serait stérile pour les auditeurs du CHEAr et source de complications pour les cadres de l’IHEDN et créerait un dangereux précédent pour cette dernière, « image de l’unité de la défense, moyen d’expression et ciment de cette unité ». Aussi André Tranie est-il partisan de sauvegarder la possibilité pour les auditeurs du CHEAr de suivre ensuite une session de l’IHEDN… et donc de « limiter la symbiose entre l’IHEAr et l’IHEDN ».

S’il juge fondées les craintes exprimées sur la question des ingénieurs militaires, l’ingénieur général Aubry est en revanche plus réservé sur l’attractivité du CHEAr sur les ingénieurs du secteur privé de l’armement, fort peu nombreux à l’IHEDN. Le contrôleur de la Marine Perrot suggère le 15 avril que le CHEAr devienne une condition nécessaire pour les ingénieurs militaires pour être auditeurs de l’IHEDN, dix ans après leur passage rue Sextius-Michel.

Le Chem voisin et partenaire

La création du CHEAr suscite de la part du chef d’État-major des armées, le général Ailleret, une appréciation mitigée le 18 août 1964.

Tout d’abord, il conteste la méthode qui ne l’a pas associé aux délibérations. « Responsable de l’Enseignement militaire supérieur et assistant le ministre pour l’organisation générale des Armées, j’aurais dû être tenu au courant de la création de ce Centre et participer aux travaux qui y ont abouti. » Réaction d’humeur liée à ce que ce Centre relevant du délégué ministériel pour l’armement échappe à son contrôle comme l’IHEDN, relevant conjointement du Premier ministre et du ministre des Armées, lui échappe déjà partiellement. Dans l’esprit de ses initiateurs, les auditeurs du CHEAr « suivent la partie de l’enseignement IHEDN qui se rapporte à la plage commune des deux enseignements IHEDN et IHEAr » et relèvent de l’autorité du ministre des Armées à travers le DMA, quand le Chem « suit tout l’enseignement de l’IHEDN » et dépend du ministre des Armées à travers le directeur de l’Enseignement militaire supérieur et le Cema, et l’IHEDN relève du SGDN et du Premier ministre. Aussi le général Ailleret réclame-t-il la désignation d’un membre de droit en la personne du général directeur de l’Enseignement militaire supérieur et d’un officier des armes instructeur du Chem au sein de la direction des études. « Cette harmonisation des programmes aurait entre autres avantages celui de placer sur le même niveau les officiers issus soit du Chem et soit du CHEAr. »

Ensuite, au nom des « errements en vigueur », plutôt que d’attribuer deux places par armée, le général Ailleret souhaite que l’on tienne compte des effectifs « officiers » de chacune des armées, soit trois représentants de l’armée de Terre, un de la Marine et deux de l’armée de l’Air. Le ministre des Armées tranche en faveur du général Ailleret.

Élément d’un dossier transmis au directeur de l’Enseignement militaire supérieur en juin 1964, le tableau suivant illustre les emprunts assumés du CHEAr à ses homologues.

Un enseignement adapté aux auditeurs

Dans un premier temps, l’enseignement qu’il était prévu de dispenser se concentrait sur les « aspects économiques, financiers et sociaux », voire sur les dimensions industrielles et administratives, mais ne comportait pas l’étude des aspects techniques des problèmes d’armement.

Second aspect : la possibilité pour les auditeurs de développer leur réseau de relations professionnelles « en l’étendant aux meilleurs éléments des grands secteurs de l’activité nationale ». La proximité de l’IHEDN est à ce titre particulièrement bénéfique pour le CHEAr et l’enseignement dispensé au titre de l’armement recoupe donc celui de l’IHEDN. Les deux instituts ont intérêt à fonctionner en étroite symbiose.

De même, une condition d’âge (35 ans au moins et 45 ans au plus au 1er janvier de l’année de la désignation) présente dans les documents préparatoires, dont on ne retrouve pas l’équivalent dans les statuts du modèle IHEDN alors en vigueur, disparaît explicitement de la décision ministérielle. La question est d’importance : les anciens ingénieurs en chef occupent après 12 à 15 ans d’activité des postes de responsabilité. Ayant donné satisfaction, ils sont arrivés à un tournant de leur carrière où il faut leur donner une motivation pour l’avenir. L’écart d’âge avec les auditeurs civils de l’IHEDN, de près de 10 ans de plus pour ces derniers, est tenu pour secondaire eu égard à la maturité dont font preuve les plus jeunes des auditeurs civils de l’IHEDN. Le souci est tout autre avec les auditeurs militaires du CHEAr appelés à intervenir dans les débats avec des officiers du Chem, systématiquement plus anciens…

L’attrition sur 15 ans – de l’ordre de 50 % – des promotions sortant de l’École polytechnique dans les corps de l’armement, conjuguée avec l’inadaptation aux hauts postes pour certains (1/6e) et la poursuite d’une carrière dans les services techniques pour d’autres (1/6e), aboutit à une évaluation proche de 15 places pour les ingénieurs militaires au sein du CHEAr. Six auditeurs provenant des administrations autres que celle du ministère des Armées, six auditeurs ingénieurs issus des grandes directions des entreprises publiques ou privées, six officiers des armes complètent la promotion. L’accueil d’auditeurs étrangers, souhaitable, est remis à plus tard : « ce délai laisse le temps d’étudier les dispositions particulières à prévoir pour les étrangers puisque ceux-ci, en particulier, ne pourront pas avoir accès à l’IHEDN ».

Les auditeurs restent rémunérés par leurs entreprises ou leurs administrations respectives le temps des sessions. Les frais afférant au fonctionnement du Centre (voyages d’études et visites) sont couverts par les crédits à la rubrique « matériel et fonctionnement » des services du budget des armées.

Le Centre est divisé en trois sections : « Entreprises », « Économie » et « Armement », dirigées chacune par un chef de section assisté d’un ou plusieurs adjoints, tous à temps partiel, dont le rôle consiste à « préparer les sujets d’étude, à constituer les dossiers d’information qui sont remis aux auditeurs, à animer les discussions, à analyser les rapports et à en dégager les synthèses constructives ». À la demande de la DMA, les cadres des sections « Économie » et « Entreprises » sont proposés par le Conseil national du patronat français – CNPF, les Fédérations nationales patronales des industries d’armement, les syndicats (Confédération générale des cadres – CGC) ou par les administrations d’État dont ils relèvent. Au final, s’établit un certain paritarisme. Les cadres de la section « Armement » sont des ingénieurs militaires : le chef de section un ingénieur général en principe, les adjoints des ingénieurs en chef.

1964-1965 : la 1re session du CHEAr

Une architecture bien définie

Le 20 octobre 1964, l’ingénieur général Aubry adresse au DMA un avant-projet de programme pour la première session du CHEAr. Dans le balancement général entre les soixante conférences d’information (interactives dans leur fonctionnement) de deux heures chacune et les temps de réflexion estimés à cent vingt heures, les visites d’installations et les déplacements à l’étranger, par le mélange concerté des auditeurs d’horizons différents entre trois comités de douze membres renouvelés pour chacun des sujets traités, « les méthodes d’enseignement s’inspirent plus particulièrement de celles qui ont fait leurs preuves à l’IHEDN ».

Les trente conférences générales sont dispensées en commun pour l’IHEDN et le CHEAr. De même, les huit conférences et tous les travaux relatifs aux deux sujets de comité permettant de préciser le rôle de l’armement dans la défense et de montrer les différents aspects de son action sont menés en commun. Il en va de même pour les visites d’usine. En revanche, parmi les activités réservées aux seuls ingénieurs de l’armement figurent dix-huit conférences sur les caractères généraux, les formes juridiques, les structures et la vie des grandes entreprises, publiques ou privées. En commun avec les ingénieurs des entreprises du secteur privé, un premier cycle de conférences sur l’état de la science et de la technique économique, un second sur la structure économique de la France et des grands pays développés, un troisième sur les grands programmes d’armement, un quatrième sur la réalisation en France des programmes d’armement, un dernier sur la production des armements dans le cadre plurinational, l’ensemble étant complété par des visites d’usines dans les principaux secteurs industriels. Cela représente bon an mal an entre deux cent cinquante et deux cent quatre-vingt-dix heures de travail effectives.

L’enseignement relève de six groupes de questions :

  • la structure, le fonctionnement et la direction des grandes entreprises,
  • l’état actuel de la science et de la technique économique (aperçus),
  • la structure économique de la France et des grands pays développés,
  • les programmes d’armement dans l’économie française,
  • la réalisation en France des programmes d’armement,
  • la production des armements dans le cadre plurinational.

Les thèmes d’enseignement sont susceptibles d’évolutions en tant que de besoins des autorités. D’emblée, les sujets des travaux en comité se fondent sur des données fournies par les directions techniques de la DMA et conduisent les auditeurs à formuler des suggestions de normalisation des méthodes au sein de la DMA, voire à prendre conscience des méthodes visant à limiter l’impact des éléments extérieurs susceptibles de perturber le déroulement d’un tel programme. Ainsi en février 1965, consulté par l’ingénieur général Aubry, l’ingénieur général René Ravaud, directeur du département « Plans en développement » de la DMA, suggère-t-il deux thèmes d’étude : « La tutelle de l’industrie d’armement » et « Les exportations d’armement ». Le directeur des recherches et moyens d’essais de la DMA demande l’insertion dans le programme des conférences et d’exposés sur l’ergonomie.

Détail qui n’est pas dénué d’importance : pour ne pas pénaliser les auditeurs dans l’exercice des postes de responsabilité qui sont les leurs, tant dans les entreprises privées que dans les administrations centrales et pour que leurs hiérarchies ne voient pas là un prétexte pour s’opposer à leur participation aux travaux du CHEAr, les sessions ont lieu les matinées des samedis et mardis, ainsi que toute la journée des lundis, huit mois durant (du 1er novembre au 30 juin). Le lundi après-midi est en principe réservé aux visites des centres industriels dont la règle demeure de se situer au niveau des grands directeurs et de « ne montrer dans les ateliers et dans les services que les installations tout à fait originales ».

Le cas des auditeurs « provinciaux » est envisagé suivant une alternative : ou d’emblée se limiter à une région déterminée chaque année et organiser une liaison logistique hebdomadaire aérienne ou ne retenir que des auditeurs de Paris et de la région parisienne la première année en attendant de résoudre le problème, peut-être par la création de sessions régionales.

Des moments forts et appréciés

Dans ces conditions, l’ouverture du Centre peut avoir lieu le 1er novembre 1964, comme prévu dans les directives du 27 août 1963.

Devant les plus hautes autorités militaires et en présence de nombreuses personnalités civiles représentant les grandes administrations de l’État et les grandes sociétés privées, le général Lavaud prononce effectivement le 6 novembre 1964, rue Sextius-Michel, l’allocution d’ouverture de la première session, devant trente-six auditeurs regroupés au balcon de l’amphithéâtre et quatre-vingt-dix invités de marque occupant le parterre. Il replace la création du CHEAr dans la droite ligne des réformes d’avril 1961 et en miroir des activités du Chem et de l’IHEDN : « Le CHEAr apparaît ainsi comme le complément indispensable du Chem où étaient enseignées et développées des notions essentielles concernant l’emploi des forces militaires. Par sa vocation, le CHEAr est amené à approfondir plus particulièrement un terrain déjà couvert, mais de façon plus globale par l’IHEDN. Ainsi les ingénieurs qui auront suivi avec profit les travaux menés au CHEAr seront-ils plus particulièrement préparés à suivre ultérieurement les travaux de l’IHEDN ». Dans la conférence inaugurale, Louis Armand, un des pères fondateurs du renouveau industriel français de l’après-Seconde Guerre mondiale, souligne les conséquences et les mutations de l’évolution récente et rapide des techniques pour les pratiques restées jusque-là traditionnelles d’élaboration et de réalisation des programmes d’armement.

La promotion assiste à ses premières conférences dès le samedi 7 novembre 1964 à 9h. Les quatre sujets d’étude de la première promotion du Centre des hautes études de l’armement sont assez révélateurs des besoins de la Délégation ministérielle pour l’armement en 1964-1965. À chaque fois, un dossier documentaire conséquent est fourni aux auditeurs.

Il s’agit de la situation de l’industrie française d’armement. Dans la note d’orientation, la direction des études du CHEAr notait que le but était « de faire prendre aux auditeurs une vue élevée et synthétique de la manière dont sont réalisés en France les programmes d’armement afin de pouvoir porter un jugement de valeur sur le principe de l’organisation actuelle et sur son évolution souhaitable ». La recherche industrielle et l’armement constituent le second thème. Il s’agit de « faire apparaître dans quelle mesure et par quels moyens l’industrie peut participer, avec le meilleur rendement, à l’effort de recherche intéressant l’armement ». Les composantes d’une politique de la recherche, l’évolution souhaitable des modalités de financement (notamment étatiques), l’influence de la réglementation relative aux brevets et aux licences, la coordination et les échanges avec la recherche industrielle à l’étranger, le développement industriel, l’autonomie des sociétés françaises… et la protection du secret doivent être mis en relief. Troisième thème d’étude : les dépenses d’armement et le plan de développement économique et social. L’enjeu est double : « les différents aspects des plans français, et tout spécialement les conditions de préparation du 5e Plan » qui débute en 1965. Enfin, le marché commun et l’armement sont l’ultime thème d’étude. Il s’agit là de confronter la réalité des programmes d’armement « florissants » avec les textes ambigus de la Communauté. Un sujet d’étude commun avec l’IHEDN porte sur l’armement nucléaire et l’économie française.

L’étude se déroule en deux phases. La première comporte cinq séances de deux heures en comité espacées d’une semaine au moins et complétées à partir de la deuxième semaine par trois conférences d’information faite par des spécialistes. À l’issue de cette première phase, chaque comité remet un rapport à la direction des études. La seconde phase comprend deux séances plénières. Au cours de la première séance, chacun des trois présidents expose devant l’ensemble de la promotion la thèse défendue par son comité et un débat s’ensuit, animé par la direction des études et portant sur les points de désaccord. La direction des études rédige à l’issue une synthèse provisoire qui est diffusée à tous les auditeurs invités à faire connaître leurs observations avant la deuxième séance plénière où elles seront discutées en vue de l’élaboration de la synthèse définitive.

En complément, dans chacune des six grandes parties du programme d’enseignement, sont prévus trois conférences d’information générale et deux exercices de types distincts. Il peut s’agir de simples applications comportant l’utilisation d’informations générales ou d’éléments statistiques issus des synthèses chiffrées publiques ou en provenance des directions techniques de la DMA ; l’exercice dure alors le temps d’une séance de travail en comité. Il peut s’agir aussi d’exemples concrets de problèmes traités à l’échelon d’un grand directeur et aboutissant à des prises de position argumentées de la part des comités ; l’exercice court alors sur deux séances de travail en comité et se conclut par la rédaction d’instructions, immédiatement discutées en séances plénières en présence de la direction des études.

L’enseignement s’étendant sur vingt-quatre semaines et les visites correspondant à chaque lundi après-midi (ou à la journée entière du lundi en cas de nécessité), l’ingénieur général Aubry propose de répartir l’ensemble des visites en deux groupes : douze visites de centres d’essais de services publics ou semi-publics et douze visites de complexes industriels du secteur privé de l’armement. Le but est « d’informer les auditeurs sur les principaux problèmes qui se posent à l’échelon des grands directeurs, sur les difficultés afférentes à l’exécution des opérations des grands programmes d’armement, sur les développements que les sociétés envisagent de donner à certaines de leurs usines, de leurs vues générales d’avenir, en ne montrant dans les ateliers et les services que les installations tout à fait originales ». Suggérées par les représentants du CNPF et des fédérations industrielles au sein du groupe de travail CHEAr, les visites de sites industriels opérées par la première promotion du CHEAr ont lieu chez Renault à Flins, au Centre d’études nucléaires de Saclay et à l’établissement pilote des véhicules blindés de Satory.

Le « petit » voyage d’études de la promotion a lieu du 29 novembre au 6 décembre 1964 en République fédérale d’Allemagne en compagnie des auditeurs de l’IHEDN. Quant au « grand » voyage, il a lieu pour le seul CHEAr du 25 mai au 15 juin 1965 aux États-Unis. Chacun des quatre comités a eu à traiter d’un aspect différent et complémentaire de la puissance américaine : l’organisation industrielle, les relations État-Industrie, la recherche et le développement et les problèmes humains. On relève toutefois aux dates des 26 mai et 11 juin 1965, parmi les sites visités, le Centre d’essais et de lancement de missiles de Vandenberg en Californie avec l’assemblage et les installations d’entretien des fusées Titan et Minuteman et le Newport News Shipbuilding and Dry Dock Company en Virginie spécialisé dans la construction de navires de guerre, de porte-avions et de sous-marins nucléaires. Prévue par le groupe de travail CHEAr, une visite de l’Industrial College of the Armed Forces (Icaf) « dont la mission, à une échelle différente, se rapproche de celle du CHEAr » est prévue à Washington. Le rapport auquel ce voyage donne lieu est, comme les quatre rapports de synthèse résultant des travaux en comités des auditeurs de la promotion, très largement envoyé aux autorités militaires et aux grandes directions de la Délégation ministérielle pour l’armement.

La clôture de la première session du CHEAr a lieu le samedi 26 juin 1965 sous la présidence du directeur du département « Administration générale » représentant le délégué ministériel pour l’armement. N’excédant pas une heure, quatre étapes la marquent qui seront systématiquement reprises dans les promotions suivantes. Tout d’abord a lieu la remise des diplômes à chacun des auditeurs. Puis le directeur des études rappelle les diverses activités du Centre en les situant dans le programme annoncé en novembre 1964 par le général Lavaud. Lui succède un auditeur qui présente l’appréciation de ces activités par l’ensemble des auditeurs et fait part de leurs suggestions pour l’avenir. Enfin, le directeur prononce une courte allocution.

 De 1965 à 1983 : un cénacle relais de la parole du DMA

Toujours des conférences, des visites et des voyages d’études

Au cours des vingt années qui ont suivi sa création, la structure de fonctionnement du Centre des hautes études de l’armement n’a été modifié qu’à la marge. Le principe de la réunion d’une promotion hétérogène dans sa composition, mais unie par son intérêt pour les questions d’armement qui allait, neuf mois durant, travailler sur des thèmes d’études prédéfinis et alterner les conférences dans les amphithéâtres Lacoste ou des Vallières de l’École militaire avec des visites d’entreprises publiques ou privées et deux voyages d’études n’a pas varié pour les dix-huit premières promotions.

Ainsi les cinq sujets d’étude proposés à la réflexion des auditeurs de la seconde promotion (1965‑1966) portaient sur l’industrie française face à la concurrence internationale, la recherche financée par le ministère des Armées, les relations État-Industrie dans le domaine des fabrications d’armement, la préparation industrielle aux diverses situations de conflit et les relations entre la politique énergétique et la défense nationale, en commun avec les auditeurs de l’IHEDN. La troisième (1966-1967) a pour sa part réfléchi sur la coopération internationale dans le domaine des armements, la formation des cadres scientifiques et techniques, la mission des arsenaux et la politique française des investissements, en commun avec les auditeurs de l’IHEDN.

Les conférenciers donnés à entendre sont souvent de très haut niveau et le temps d’échange en salle Aubry qui suit l’exposé en Lacoste est fructueux. Ainsi en 1968-1969, dans le cadre des conférences de la section « Armement », les auditeurs de la cinquième promotion ont vu se succéder des généraux (Gallois, Valentin, Faugère), des hommes politiques (Alexandre Sanguinetti), des ingénieurs de l’armement (Ravaud, Bonte) et des administrateurs civils (Marc Robert) très en vue. Au nombre des dix conférenciers de la section « Entreprises », sont intervenus, entre autres, les présidents-directeurs généraux Roux, Pincson et Rousselier. Et au titre de la section « Économie », ont été entendus neuf conférenciers, dont François Ceyrac et Jean Ripert.

… mais aussi des jeux de rôles

Dès la première promotion, des jeux de simulation de « direction de programme » sont organisés où les auditeurs sont invités par la direction des études à être à la fois participants actifs aux jeux et critiques de ces derniers dans tous leurs aspects. Des questions sont posées et des pistes de réflexion sont tracées. Quels sont les objectifs de l’équipe ? Quelle stratégie adopter pour avoir les meilleures chances d’atteindre ces objectifs ? Que peut-on attendre des autres équipes ? Faut-il remettre en cause les objectifs de départ ? Quelles sont les tactiques disponibles en vue de recueillir l’information, influencer les autres équipes, connaître leurs préoccupations, etc. ? Quels sont les effets de la décision finale et quelle part estimez-vous y avoir prise ? Parmi les actions que vous avez menées, laquelle a été la meilleure ? La pire ?

La 11e promotion a testé une maquette de jeu de simulation de programme réalisée par le Centre de formation supérieure au management (CFSM). Illustrant les interactions entre les diverses fonctions concourant dans le management d’une organisation, ce jeu de gestion simulée a pour but de combiner les variables liées aux coûts, aux performances, aux délais, aux risques associés à des options en matière de technologies et de progrès industriels et l’ordre de grandeur des conséquences financières et temporelles des décisions prises. Assumant l’influence anglo-saxonne sur cette dimension managériale de l’enseignement dispensé, les autorités du CHEAr s’intéressent d’abord aux alternatives et aux choix impliquant des décisions en matière d’armement, ensuite aux oppositions d’intérêts (et à leurs règlements) entre les parties prenantes et enfin à la résolution des problèmes et à la prise de décision sous risque. Trois équipes assument les rôles respectifs de l’État-major de la DMA et des industriels, qui « ont à prendre chacune en particulier ou conjointement des décisions sur un système d’arme indéterminé constitué d’un vecteur, d’une propulsion et d’un système de contrôle » au cours de trois phases de la vie du programme : les spécifications du système d’armes, les études et la conception avec la rédaction de fiches programmes États-majors DMA et la passation de contrats d’études entre DMA et industriels ; puis la fabrication et les essais des prototypes, avec des ajustements budgétaires et de planning de part et d’autre, des modifications de spécifications et des affectations de ressources ; enfin l’industrialisation, les préséries et la fabrication avec les budgets et les plannings de l’industrialisation, le timing du déploiement, etc. Toutes les données sont intégrées sur ordinateur et le jeu se déroule sur trois demi-journées suivies par une demi-journée de synthèse.

Une audience accrue et un relais de la hiérarchie

Cependant une évolution est notable dans la perception du CHEAr au sein de la DMA, qui devient la Délégation générale pour l’armement (DGA) le 5 février 1977.

Tout d’abord, l’ingénieur général Aubry, créateur du CHEAr, est aussi le créateur du bulletin de liaison et d’information L’Armement en octobre 1968 et il en assure la présidence du comité de direction jusqu’en décembre 1976 (n° 43). Dans les premières années de futurs directeurs du Centre comme les ingénieurs en chef Assens et Crémieux, mais aussi des cadres comme le commissaire de la marine Perrot sont présents. Sous la direction de l’ingénieur général Aubry, une place de choix est réservée aux activités du CHEAr dans les colonnes de la rubrique « Activités de l’armement », mais aussi par l’insertion de nombreuses conférences prononcées devant les auditeurs dans les numéros du bulletin : « La civilisation industrielle et les mouvements de la jeunesse » par Raymond Aron le 23 octobre 1968, ou « La crise des échanges internationaux » par Jacques Plassard en 1976 ou bien encore « Les perspectives de la formation des hommes à la fin du siècle » par le conseiller d’État Schmeltz en juin 1980. Les voyages d’études aussi, petits ou grands, sont l’objet de relations précises et régulières : un voyage approfondi au Brésil et en Guyane pour la promotion 1968-1969, l’Inde et le Pakistan en mai 1970, le Canada en mai 1971, le Japon en mai 1972, etc.

L’Armement constitue au sens propre le seul véritable bulletin d’information commun à toute la délégation : telle est la conclusion d’une étude commandée par la direction de la publication en 1975. Il retranscrit in extenso la cérémonie d’ouverture de chacune des sessions nationales du CHEAr au cours de laquelle, en présence des plus hautes autorités militaires et civiles du ministère et encadrant un conférencier de très haut niveau, le DMA transmet un certain nombre de mots d’ordre en direction de l’ensemble des personnels. En ce sens, l’ouverture de la session du CHEAr dans l’enceinte de l’École militaire (amphithéâtre des Vallières) devient un moment important de la vie de la Délégation. Le ministre (Pierre Messmer, Jacques Soufflet, Yvon Bourges) est assez souvent présent, sinon le secrétaire d’État à la Défense (Georges Lemoine en 1982). Par deux fois, à l’occasion d’une inspection des centres d’enseignement supérieur sis à l’École militaire, le président de la République Georges Pompidou visite les locaux du CHEAr et assiste à une séance des travaux de comité du Centre, en mars 1971 et en mars 1972. Le Centre est donc l’objet de multiples attentions.

Aussi, les délégués Jean-Laurens Delpech et Henri Martre prennent l’habitude de venir s’entretenir avec les auditeurs des différentes promotions et de se soumettre à un jeu de questions et de réponses. C’est l’occasion pour la hiérarchie de la DMA, puis de la DGA, entre 1975 et 1983 de faire passer un certain nombre d’idées fortes qui sont relayées dans les colonnes du bulletin de liaison et d’information de L’Armement. Cette habitude se perd cependant peu à peu.

Ce rôle de relais est à rapprocher d’une autre évolution dans la perception du rôle du CHEAr au sein de la Délégation. Jusqu’en 1973, le département des personnels et de l’administration générale (DPAG) intègre le passage au Centre comme une étape possible dans le cadre d’un cursus de formation continue des ingénieurs militaires dans la rubrique « Management et direction ». En ce sens, le Centre est perçu comme fidèle à sa mission originelle héritée des décisions ministérielles de juillet 1964. À partir de 1973, il cesse d’être tenu pour tel par la DPAG dont il relève administrativement et disparaît de ce tableau récapitulatif des formations, remplacé par un stage en management des cadres de la DMA sous-traité dans une enceinte privée. Les enseignements délivrés étant demeurés identiques dans leurs structures. Nous ne nous hasarderons pas à donner un sens définitif à cette mesure qui tend à faire du CHEAr moins un centre de formation concrète qu’un cénacle, voire une académie ou un institut.

Une ouverture déterminée vers l’étranger

Depuis 1964, le CHEAr remplissait, avec des évolutions inévitables au cours du temps, son rôle de formation de cadres de l’armement, d’officiers et de représentants de la société civile, conformément aux principes définis lors de sa création. Cette orientation se confirme au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, mais son caractère purement national s’estompe de plusieurs façons.

Une première session internationale a été créée en 1988-1989, la Session européenne des responsables d’armement (Sera). Relevant du Groupe européen indépendant de programmes (Geip), qui deviendra en 1992 le Groupe armements de l’Europe occidentale (Gaeo) et qui regroupait les États européens de l’Otan. Elle donnait à une quarantaine de hauts fonctionnaires des États concernés une formation en quatre semaines, dont trois en France et une dans un autre pays européen. Son conseil des études, présidé par le directeur du CHEAr, comprenait plusieurs représentants étrangers, la plupart officiers généraux ou civils de niveau équivalent. Elle reprenait la « méthode CHEAr », avec ses conférences, ses travaux en comité et ses visites de sites militaires et d’entreprises d’armement. Formation de haut niveau, c’était aussi (et cela demeure) une vitrine de l’armement français. Les visites dans l’industrie française d’armement permettaient en effet de présenter des réalisations qui suscitaient l’intérêt et, parfois l’admiration, de responsables européens, qui n’étaient pas toujours au courant des réussites françaises en haute technologie. Lors de la première session, l’un des auditeurs était même le directeur national de l’armement des Pays-Bas en personne.

En 2014 la Sera en est à sa vingt-sixième session.

En 1990, la Session méditerranéenne des hautes études de l’armement (SMHEAr) a été créée, en collaboration avec la Fondation méditerranéenne des études stratégiques (FMES). Le caractère exclusivement parisien du CHEAr apparaissait en effet en décalage avec la distribution géographique de l’industrie d’armement française, largement répartie dans le Centre avec Bourges et Roanne, le Sud-Est avec Cannes et Toulon, le Sud-Ouest avec Toulouse, Bordeaux et Tarbes, et l’Ouest avec Rennes, Indret, Brest et Cherbourg. Installée à Toulon, elle a largement recruté dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, puis dans les régions voisines, au rythme de deux jours par mois pendant une année universitaire. Administrativement indépendante du CHEAr puisque relevant d’une fondation, elle respectait cependant, comme la Sera, les principes de la méthode CHEAr évoquée plus haut. Orientée vers son espace naturel, elle a organisé pour ses auditeurs des visites dans le Sud de la France, mais aussi en Italie et en Espagne et leur a proposé des sujets d’étude également orientés vers l’espace méditerranéen : relations entre les trois pays européens de la Méditerranée occidentale, ou relations entre les pays de la rive européenne et de la rive africaine de la Méditerranée.  Elle a reçu plusieurs auditeurs étrangers du bassin méditerranéen et notamment des auditeurs marocains et un auditeur italien. En 2014, elle en est à sa vingt-quatrième session. D’autres sessions régionales n’ont cependant pas été créées, faute de répondant de la part des autorités locales.

Mais les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, c’était aussi la période de la chute du mur de Berlin, de la disparition de l’URSS et de la transformation de l’ensemble de l’Est européen, transformation qui devait conduire à l’intégration dans l’Union européenne et dans l’Otan des « pays de l’Est ». Cela a conduit le CHEAr à créer en 1993, sur demande expresse de la Délégation générale pour l’armement, une session qui, sur le modèle de la Sera, rassemblait pendant trois semaines des responsables des pays de l’Europe centrale, orientale et balkanique, d’où son nom : la Secob. Une session exclusivement réservée à des responsables de la CEI a aussi été organisée à la même époque.

La session nationale elle-même s’est internationalisée progressivement par l’arrivée d’un, puis de plusieurs auditeurs étrangers, qui ont suivi intégralement son cursus. Le premier de ces auditeurs, Peter Lidgitt, était britannique. Il a été suivi par des auditeurs européens de diverses nationalités, notamment allemands et italiens et un auditeur américain par an. Par ailleurs, un Français suit tous les ans les cours de la Dwight D. Eisenhower School for National Security and Resource Strategy (anciennement Icaf) de la National Defense University à Washington.

Une diversification géographique et politique

Pendant cette même période des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, très exactement de 1983 à 1996, une orientation vers la réflexion stratégique s’est dessinée ; le CHEAr a commencé à participer aux débats nationaux relatifs à l’armement et à la défense.

La participation à la réflexion stratégique s’est faite à travers de nouvelles activités complétant les conférences faites aux auditeurs, dont elle était cependant déjà l’un des objets depuis la création du CHEAr. Il apparaissait en effet et, cela s’est confirmé depuis, que le besoin de formation en économie était moindre. En revanche, le choix des programmes d’armement était de plus en plus influencé par les données stratégiques, en évolution rapide depuis la fin de la guerre froide. La conscience se faisait jour que le monde changeait et que cela aurait des retombées, y compris dans l’armement.

Multiforme, cette participation a consisté d’abord en des conférences organisées pour des publics autres que les membres des sessions nationales. Il s’est d’abord agi de conférences ouvertes à tous les personnels de la DGA. Puis des séminaires de réflexion et des dîners-débats ont réuni de hauts responsables de tous horizons intéressés par les questions d’armement. Parmi les conférenciers de cette époque on peut citer, entre beaucoup d’autres : André Bénard, président d’Eurotunnel, Louis Gallois, président de l’Aérospatiale, Hugues de L’Estoile, ancien directeur des affaires internationales de la DGA, Jean-Michel Boucheron, président de la Commission de défense de l’Assemblée nationale, Pierre Lellouche, homme politique et analyste stratégique.

 

Les conférences accueillaient des ingénieurs et des cadres dont les activités portaient sur des sujets liés à l’armement, mais qui étaient généralement éloignés, dans leur activité quotidienne, de ses tenants et aboutissants. Elles représentaient une formation continue de haut niveau qui n’avait auparavant pas d’équivalent à la DGA. La motivation des participants était à la mesure de l’horaire choisi : 12 h 30-13 h 30 dans la salle Aubry du CHEAr, une fois par mois.

Les séminaires de réflexion de deux ou trois jours étaient organisés par le Centre d’étude et de prospective stratégique (Ceps). Ils s’adressaient principalement à des cadres de la DGA soucieux de comprendre les enjeux de leurs activités.

Les dîners-débats rassemblaient, également au CHEAr en général, autour de conférenciers choisis par le CHEAr, des cadres dirigeants de la DGA, des Armées et de l’industrie d’armement. Le CHEAr leur offrait la possibilité d’échanger des vues sur la défense et sur l’armement dans une ambiance plus libre que les débats publics et plus larges que les rencontres privées.

Les conférenciers pouvaient être de hauts fonctionnaires du ministère de la Défense (officiers, ingénieurs, contrôleurs, administrateurs civils), des hommes politiques (anciens ministres, députés s’intéressant particulièrement à la défense), des dirigeants de l’industrie d’armement ou d’industries connexes, des analystes spécialisés dans les affaires liées à la défense.

L’idée s’est progressivement fait jour que les activités du CHEAr conduisaient à la création, dans l’environnement de la DGA et de l’industrie d’armement, d’une capacité de réflexion sur les problèmes de défense et plus précisément d’armement, qui aboutissait à la constitution d’un véritable think tank dont les travaux méritaient mise en forme et diffusion.

Cette mise en forme s’est faite dans le cadre des Groupes de recherche et de réflexion (GRR) qui se réunissaient généralement pendant un à deux ans, au rythme d’environ une réunion par mois et aboutissaient à un rapport publié par le CHEAr.

Les sujets des GRR pouvaient être stratégiques comme « Les suites prévisibles de l’option double zéro », orientés vers un armement particulier, comme « La menace chimique » ou « La maîtrise des mers au vingt et unième siècle ». Ils pouvaient aussi être caractéristiques d’un thème horizontal, comme « Les exportations d’armement » voire, bien avant le 11 septembre 2001, une réflexion sur « La menace terroriste ». Ces GRR sont à l’origine des Groupes de réflexion de l’Association des auditeurs et cadres des hautes études de l’armement (Graa) de l’AACHEAr. Ceux-ci fonctionnent toujours en 2014 et préparent régulièrement les « Entretiens armement et sécurité » (EAS), qui se tiennent à Paris tous les deux ans, depuis maintenant vingt ans et, à l’occasion desquels est publié, en 2014, le présent document. Les sujets et les présidents de groupe étaient choisis par le directeur du CHEAr aidé du Conseil des études, riche des expériences diverses de ceux qui le composaient et les membres des groupes étaient ensuite cooptés.

Leur diffusion s’est faite au sein des publications du CHEAr, dont Les Cahiers du CHEAr, qui diffusaient les meilleures conférences prononcées devant les auditeurs (premier numéro en décembre 1985).

L’organisation de colloques, tenus dans des amphithéâtres de l’École militaire ou dans des salles de congrès extérieures comme le Sénat ou le Palais des congrès, a caractérisé cette participation à la réflexion publique à partir de 1989.

1996-2010 : un CHEAr renouvelé

La réforme de la Délégation générale pour l’armement engagée en mars 1996 par le nouveau délégué général, Jean-Yves Helmer, a été l’objet du décret du 17 janvier 1997 et de l’arrêté d’application du 10 mars de la même année.

Réforme structurelle importante, elle transformait de fond en comble l’organisation par directions correspondant aux différentes armées, en place depuis la création de la DMA en 1961 et, créait, autour du CHEAr, un ensemble plus vaste confié à un ingénieur général hors classe, Gérard La Rosa, précédemment directeur de la Direction des recherches et études techniques (Dret) que cette réforme venait de faire disparaître. Dans le langage vernaculaire, il s’est agi du « nouveau CHEAr » ou du « grand CHEAr ». Ce qualificatif était justifié par l’augmentation des effectifs par rapport à la période précédente. En août 2001, les effectifs prévus pour la fin de l’année sont de 50 pour Paris et de 98 pour le Cedocar sur son site d’Angoulême. Par comparaison, les effectifs du CHEAr n’étaient en 1976 que de 14 personnes.

Le décret du 17 janvier 1997 prévoyait en son article 30 que

« Le Centre des hautes études de l’armement a pour mission de préparer à l’exercice de responsabilités en matière de programmes d’armement, d’une part, le personnel militaire et civil en service à la Délégation générale pour l’armement et, d’autre part, des officiers ainsi que des cadres supérieurs des administrations publiques et du secteur privé concernés par les activités d’armement. »

L’arrêté du 10 mars de la même année prévoyait en son article 2 que « Le Centre des hautes études de l’armement comprend :

  • le département des hautes études de l’armement,
  • le département des formations supérieures spécialisées,
  • le département des publications de l’armement,
  • le département du rayonnement et des études externes,
  • le département d’histoire de l’armement. »

Très rapidement, le CHEAr s’est enrichi de nouvelles formations et d’activités de réflexion technique ou stratégique, dont le destin mérite d’être examiné séparément. Ces activités sont présentées suivant la répartition des départements du CHEAr même si, au cours du temps, des changements de frontières entre les départements ont certainement eu lieu.